Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/498

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été criminelle pour ne pas être victime. D’autres prétendent qu’elle n’agit ainsi que par amour de la science et pour connaître les secrets du savant. Toutes ces suppositions nous paraissent puériles, et ont paru telles à M. Alfred Tennyson. Ce qui est bien plus probable, c’est que Viviane fit lâchement étalage de sa faiblesse pour apitoyer sa victime, et prétexta l’amour de la science pour être plus à portée de disposer ses pièges, de tendre ses filets. C’est la supposition à laquelle s’est arrêté M. Tennyson. Il a dépouillé Viviane de son prestige de fée et en a fait une femme simplement artificieuse, qui aime le mal pour la renommée qu’il donne, qui agit non par caprice, mais avec un dessein déterminé, dont toutes les caresses sont un calcul, et toutes les paroles un piège. « Viviane cherchait sans cesse à jeter le charme sur le grand enchanteur de l’époque, s’imaginant que sa gloire serait grande en proportion de la grandeur qu’elle éteindrait. » Le poème de Viviane, qui n’est qu’une langue conversation, comme le poème de Genièvre n’est qu’une longue plainte, met en lumière ce fait très ancien, mais toujours nouveau : c’est qu’aux âmes honnêtes la discrétion, le silence et la réserve ne servent de rien, et que le mal a des méthodes fort discrètes aussi et fort silencieuses de les entamer. Connaissez-vous quelque chose de plus discret que l’intrigue, quelque chose de plus silencieux que la calomnie ? Ce sont là des méthodes familières à Viviane, et il faut voir avec quelle adresse elle s’en sert. Une seule fois elle se trahit, lorsque le vieux Merlin, qui flaire un danger, sans soupçonner précisément de quelle nature il peut être, émet des doutes sur la sincérité de ses paroles, et lui rappelle à mots couverts les bruits qui circulaient sur elle à la cour d’Arthur. Mais qu’elle est éloquente, et qu’il faut de courage à Merlin pour lui résister pendant qu’elle parle, « un bras jeté autour de son cou et collée contre lui comme une couleuvre, laissant tomber comme une feuille sa main gauche sur son épaule puissante, et de sa main droite faisant un peigne de perles pour séparer les flots de sa barbe, que la jeunesse, en s’enfuyant, avait laissée couleur de cendre ! »


« Hélas ! quel cœur ont les hommes ! Ils ne montent jamais aussi haut que monte la femme par son abnégation, et quant à la renommée, quoique vous méprisiez ma chanson, écoutez encore quelques vers. C’est la dame qui parle ; elle dit :

« Mon nom, autrefois mien, maintenant tien, est devenu plus étroitement mien, car pour la renommée, si elle pouvait être mienne, elle serait tienne, et quant à la honte, s’il était possible qu’elle fût tienne, elle serait mienne. Ainsi donc confie-toi en moi absolument ou pas du tout. »

« Ne parle-t-elle pas bien ? Cette chanson est comme le beau collier de la reine qui se cassa en tombant, et dont les perles s’égrenèrent. Quelques-unes