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qui n’est plus ! Oh ! la charmante offrande déposée sur une tombe amie que ce long poème intitulé In Memoriam, qu’on pourrait aussi bien intituler les canzoni de la mort ! Le souvenir d’un ami mort a été pour Alfred Tennyson ce que fut l’image de Laure pour Pétrarque : il lui a suffi pour animer toute une longue série de petits poèmes. Le grand charme d’In Memoriam, c’est son accent de parfaite sincérité. Pas de grands effets poétiques, aucune recherche d’imagination, pas la moindre préoccupation du public ; l’auteur a exprimé sa plainte jour par jour, jusqu’à l’entier épuisement de la première douleur, sans se préoccuper de savoir s’il serait monotone. Il a laissé couler ses larmes jusqu’à ce que la source fût tarie et que la mémoire du mort eût reçu dans son âme une sépulture digne de lui. Ce n’est pas au public que s’adresse ce poème, c’est véritablement au mort lui-même. C’est une vraie conversation avec une âme invisible, pleine d’assurances de sympathie, de promesses loyales, de reproches, de questions curieuses, interrompues çà et là par un temps de silence, comme pour entendre une réponse qui ne vient pas. Le mort à la mémoire duquel est dédié ce poème s’appelait, lorsqu’il était sur la terre, Arthur Henry Hallam, et semble avoir été digne de cette offrande. Tous ceux qui l’ont connu ont rendu de lui un témoignage plein d’admiration et de regret. Il fut appelé par les dieux à l’âge de vingt-deux ans. Heureux jeune homme ! sa mémoire est restée pure et charmante ; il est mort avant d’avoir connu les insultes des lâches, les poisons du mensonge et de la calomnie, les iniquités de l’envie, et les crimes de ce vice plus infâme que tous les autres ensemble, la déloyauté, le péché impardonnable que rien ne peut effacer, et qui marque les âmes qui s’en sont rendues coupables des signes auxquels on reconnaît la populace. In Memoriam !

Lorsque la passion réelle ; avec ses ardeurs et ses colères, se montre dans M. Tennyson, ce n’est jamais que par surprise et à l’improviste. Elle brille soudain comme un éclair, et un éclair qui n’est jamais suivi d’orage. Une fois cependant il a voulu essayer de consacrer tout un long poème à l’expression des passions amoureuses, et cette tentative, qui porte le nom de Maud, a été de l’avis général un échec. Maud est une bizarrerie qui nous laisse assez froids, qui intéresse notre curiosité beaucoup plus qu’elle n’excite notre émotion. Cela est très fin, surtout très ingénieux ; mais l’auteur a fait un poème psychologique plutôt qu’un poème dramatique. Nous sommes curieux de suivre les progrès de la passion dans une âme de fou, nous ne pouvons sympathiser avec elle. Son héros est un monomane d’une espèce rare, créature d’élite dans le monde de l’hallucination, mais qui, malgré toutes ses délicatesses, est séparé