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long séjour à cette cour charmante, il en a appris le langage, qu’il parle très correctement, très purement, quoique avec un accent un peu bizarre. Il a pris les mœurs et les manières des êtres délicats au milieu desquels il vit ; il en a la grâce exquise et le goût dédaigneux. Comme Titania et Oberon, il se nourrit de cuisses d’abeille, couche sur des matelas de toile d’araignée, et, pour écrire ses poèmes, s’éclaire à la lampe du ver luisant. Il échenille les rosiers dans le jardin des fées, arrose les pelouses verdoyantes que foule le peuple aux petits pieds, protège les fleurs contre la piqûre des insectes. Avec quel zèle et quelle adresse il remplit ces soins charmans, et quelle sympathie pour toutes les jolies choses qui lui sont confiées ! Dans l’intérieur du palais, il est admis à écouter les conversations des fées et même à y prendre part ; elles aiment et admirent ses discours ingénieux et ses réponses subtiles, et maintes fois il est arrivé à plus d’une de dire : « C’est vraiment dommage, il méritait d’être de la famille. » Il n’est pas admis à faire partie des grands concerts qui se donnent à la cour, mais comme il est dans son genre excellent musicien et très habile sur certains instrumens, il est souvent prié, pendant les loisirs de la matinée par exemple, ou aux heures douteuses du crépuscule, d’exécuter quelques sérénades de sa façon, ce dont il se tire à merveille. Il est essentiellement à cette cour à la fois le compositeur en titre et l’exécutant de la musique légère, des romances et des ballades. Il n’a à son service aucun des grands instrumens qui expriment les suprêmes passions de l’âme ; mais tous les instrumens qui font vibrer les nerfs et donnent un plaisir maladif lui appartiennent : par exemple l’harmonica aux vibrations plaintives, la guitare aux mélodies saccadées, et surtout une certaine petite trompette de son invention, qu’il a perfectionnée tout récemment, une trompette qui a des sons de hautbois, qui ne vaudrait rien pour sonner une charge ou une fanfare de triomphe, mais qui est admirable pour exprimer certains grands désirs et certaines nobles rêveries. Cet instrument serait, je le crois, fort impuissant à exprimer l’héroïsme en action ; mais il est inimitable pour exprimer l’héroïsme qui se rêve, les sentimens de l’âme qui soupire après la grandeur. Une fois, entre autres, il a exécuté au moyen de cet instrument une mélodie mémorable sur la mort d’Arthur, chant à la fois plein de tristesse et d’espérance, qui est comme un adieu aux héros disparus et un salut aux héros qui ne sont pas encore. Parfois, dans ces compositions musicales, il entretient les fées des sentimens qui agitent le cœur des vulgaires mortels parmi lesquels il a pris naissance, mais il a soin de les dépouiller de leur grossièreté, de les traduire en langage élégant, d’en extraire l’âme pour ainsi dire, et d’en rejeter le corps. Ainsi un jour (c’était après 1848)