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PORTRAITS POETIQUES

ALFRED TENNYSON.

Idylls of the King, by Alfred Tennyson, 1 vol. in-12, London, Edward Moxon, 1859.



La réalité des choses nous échappe, dit le philosophe moderne élevé à l’école de Kant ; nous n’atteignons que des phénomènes et des apparences, et encore ne sommes-nous jamais bien sûrs de surprendre la vraie figure de ces apparences qui ne sont peut-être d’ailleurs que le reflet de nos pensées. Les choses extérieures se conforment avec docilité aux exigences nécessaires de notre existence et de notre esprit ; nous les voyons sous la forme exigée par notre œil, nous les voyons telles que nous devons les voir pour que notre existence soit possible, et c’est tout. Loin de nous donc ce monde de fantômes qui nous leurrent et nous trompent, et qui ne sont après tout que les figures de nos propres désirs ! C’est nous-mêmes qui créons ces êtres auxquels nous donnons notre amour, notre admiration, notre confiance, que nous implorons à genoux, vers lesquels nous tendons des mains suppliantes, et pour lesquels nous sommes prêts à sacrifier notre existence. Restons stoïquement fidèles à notre moi, qui est pour nous la mesure de toute chose, et sachons bien qu’en dehors de nous tout est vain !

Ainsi raisonne le moderne stoïcien, dont le suprême effort a été pour ainsi dire de perdre courage et d’abdiquer toute croyance en la certitude. Sa science est vraiment une science amère, qui semble ne laisser à l’âme aucune espérance, et cependant même de ses