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et la rudesse qui le caractérise se reflète jusque dans sa physionomie et son langage. Malgré ces nuances, qui parfois se marquent jusque dans la conduite politique des différentes provinces, tous les Lombards ont en commun des traits de caractère dominans : la persistance au travail, une imagination vive, mais réglée par un esprit pratique, et, qualité essentielle chez un peuple destiné à se gouverner lui-même, beaucoup de bon sens.

En présence des données aujourd’hui acquises, et qu’on vient de résumer ici, sur les forces productives dont disposent les populations lombardes, il est superflu d’insister sur l’importance que l’annexion de la Lombardie aura pour le Piémont, et sur les avantages que les deux pays pourront en retirer malgré l’inconvénient politique et militaire que laisse subsister une frontière à peu près ouverte. Un territoire de 21,000 kilomètres carrés, d’une fertilité extraordinaire ; les produits les plus variés et les plus précieux ; des subsistances suffisantes non-seulement pour nourrir une population de près de trois millions d’hommes, la plus dense de l’Europe, mais encore pour faire l’objet d’une exportation considérable ; des industries agricoles florissantes, sources d’immenses richesses ; un sol d’une valeur plus élevée que dans tout autre pays du monde ; des procédés de culture très perfectionnés : tel est en substance le contingent des forces matérielles que la Lombardie apporte au nouveau royaume de la Haute-Italie. Quant au concours moral, il ne sera pas moindre ; l’aisance très générale, la propriété très divisée, l’instruction répandue, le caractère ferme et l’esprit sage des Lombards, leur habitude de gérer eux-mêmes leurs affaires au sein des communes, toutes les circonstances favorables que nous avons indiquées donnent lieu de croire qu’ils sauront marcher dignement à côté des Piémontais dans la voie que ceux-ci ont ouverte à l’Italie. Une belle mission est réservée aux peuples du nouvel état qui se constitue au-delà des Alpes. En développant les ressources que la nature a mises à leur disposition, en usant avec sagesse et fermeté des droits qui sont le fruit de la civilisation, il faut qu’ils servent de modèle aux autres populations de la péninsule, qui, en ayant les mêmes avantages naturels, n’ont pas encore ceux qu’assurent de bonnes institutions. Se gouverner prudemment et travailler avec énergie, unir l’activité industrielle à la pratique des vertus civiques, en un mot montrer une fois de plus que rien ne favorise mieux la production de la richesse que la justice et la liberté, c’est là une noble tâche, et la Lombardie saura la remplir.


EMILE DE LAVELEYE.