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fermiers payant un loyer fixe seraient encore plus intéressés au succès de l’exploitation, puisque, déduction faite du fermage, ils auraient tout le produit, tandis que le métayer n’en a que la moitié ; mais cet avantage serait plus que balancé par le défaut de sécurité. Dans les pays où le propriétaire est forcé de fournir au cultivateur le capital d’exploitation, et principalement le cheptel, le capital ainsi confié à un tiers peut être compromis ou exposé à une diminution insensible, mais constante. En Lombardie, cet inconvénient n’existe pas : le propriétaire ne livre que la terre, les bâtimens et les plantations ; l’occupant fournit le travail, qui est l’élément principal, et même le capital. Le bétail lui appartient en propre : il a donc tout intérêt à le bien soigner et à le multiplier. Les autres inconvéniens que présente le métayage sont également moindres en Lombardie qu’ailleurs[1]. Il empêche jusqu’à un certain point les améliorations coûteuses, car ni le propriétaire ni le métayer n’ont un intérêt suffisant pour les faire, vu que chacun d’entre eux ne toucherait que la moitié du produit obtenu au moyen des dépenses faites par un seul ; mais la culture en Lombardie est déjà arrivée d’ailleurs à un si haut degré de perfection, et telle est la nature de ses productions, qu’elle ne semble point réclamer ces grands travaux d’amélioration nécessaires en d’autres pays.

La facilité qu’a le métayer de soustraire une partie du produit qui revient au propriétaire expose, il est vrai, la moralité du premier à d’assez dangereuses tentations, et exige de la part du second une surveillance plus ou moins fastidieuse ; mais aussi, en intéressant le propriétaire au succès de la culture, le métayage le retient près de sa propriété : il l’empêche de dépenser la rente loin du sol qui l’a produite, et il s’oppose de la sorte à l’extension du fléau de l’absentéisme. Il présente un autre avantage, qui l’emporte, à vrai dire, sur tous les inconvéniens réunis de ce mode d’exploitation. Au lieu de soumettre la répartition des produits aux luttes d’une concurrence souvent désastreuse, le métayage la soumet à l’empire plus stable de la coutume. Il en résulte que si le produit total augmente, si les denrées du cultivateur se vendent plus cher, sa part s’accroît et à la longue son sort peut s’améliorer. Il jouit ainsi d’une partie de la rente, et s’il est vrai, comme le montrent les économistes, que le progrès des sociétés tend de plus en plus à élever la rente, il est certain que le métayer participera de ce bénéfice du travail

  1. Un de ces inconvéniens est grave cependant, c’est la fâcheuse inégalité qui existe dans la condition des métayers. En effet, comme le métayage ne laisse à ceux-ci que la moitié du produit, quelle que soit la fertilité du sol, il en résulte que les uns, sur une terre féconde, vivent bien et travaillent peu, tandis que les autres, sur un sol ingrat, travaillent beaucoup et vivent mal. Cette inégalité n’est ni favorable a la production ni conforme à la justice.