Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et en 1854 2,835,219. Il y a donc une augmentation annuelle de 0,9 pour 100, tandis qu’en Autriche et en Russie elle est de plus de 1 pour 100 ; en Prusse, de 1816 à 1849, de 1,46 pour 100 ; en Angleterre, de 1,11 pour 100. Or, dans tous ces pays, la grande propriété domine. En France, pays de petite propriété, elle n’a été que de 0,6 pour 100 pendant la première moitié du siècle. Si les calculs de M. Jacini sont exacts, depuis 1802 jusqu’en 1854 la production agricole aurait doublé de valeur, tandis que la population ne s’est pas accrue de plus de 40 pour 100. Les faits sont donc venus démentir encore ici la formule mathématique de Malthus. L’accroissement des moyens de subsistance a été beaucoup plus rapide que l’augmentation du nombre des habitans. Il en a été de même en France, en Angleterre, en Allemagne, et même en Amérique, où la population double tous les vingt-deux ans, mais où la production de la richesse croît encore plus vite.

Si maintenant nous examinons la condition des classes agricoles, nous devons constater qu’en somme elle est meilleure sous le régime de la petite propriété et de la petite culture par métayers. Partout, en Lombardie comme dans le reste de l’Europe, l’existence de ceux qui de leurs mains exécutent les travaux des champs est rude : des vêtemens très simples, une nourriture assez grossière et uniquement végétale, presque jamais de vin ni de viande, un lit pour les époux, mais de la paille pour les enfans. Comme l’a remarqué Turgot, « en tout genre de travail, il doit arriver et il arrive que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour se procurer sa subsistance. » Les petits propriétaires des montagnes, les métayers des collines et les salariés de la plaine peuvent être tous également considérés comme des ouvriers agricoles, et leur manière de vivre est à peu près semblable. Le petit propriétaire toutefois est mieux logé dans sa propre maison, qu’il entretient lui-même, que le salarié de la plaine, qui habite de misérables masures délabrées qu’il est trop pauvre pour entretenir à ses frais, et que ni le propriétaire ni le fermier n’ont intérêt à réparer. Comme la division du travail, sous le régime de la grande culture, l’astreint à un labeur uniforme, son intelligence sommeille ; il se contente d’obéir à son maître, et ne s’ingénie pas, comme son frère des hauteurs, à obtenir de chaque pouce de terre le plus grand produit possible. N’ayant pas à chaque instant besoin de prendre une résolution importante, de prévoir l’avenir, d’acheter et de vendre, la conscience de sa responsabilité est peu développée, et l’initiative individuelle est faible. Tandis que le petit propriétaire et le métayer aiment la terre comme leur enfant, l’ouvrier de la plaine n’éprouve pour elle aucun attachement. Malgré le proverbe : Tre S. Martini fanno un. incendio (trois Saint-Martin valent un incendie), il abandonne une exploitation pour