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vastes étendues de terres incultes ; mais cet avantage est compensé, et bien au-delà, par l’immense produit en fourrages des terres irriguées de la plaine. Ce résultat de la comparaison des chiffres donnés par les statistiques lombardes ne doit pas nous surprendre : il est conforme aux faits observés dans la plupart des autres pays[1].

Si quelques économistes ont adressé à la petite culture le reproche, démenti par l’observation, d’être peu favorable à la multiplication du bétail, on a aussi reproché à la petite propriété de se surcharger de dettes hypothécaires ; or il se trouve qu’en Lombardie, c’est dans la province où la propriété est le plus subdivisée qu’elle est le moins hypothéquée. Ainsi, tandis que la dette hypothécaire de toutes les provinces s’élève à 24,79 pour 100 de la valeur des biens-fonds, dans la province de Sondrio elle ne s’élève qu’à 1,50 pour 100[2]. En résumé, si les provinces où domine la petite culture produisent un revenu aussi élevé, si elles nourrissent aussi bien un nombre plus grand d’hommes, si elles possèdent autant de bétail, et si le sol y est moins hypothéqué, on peut en conclure qu’en Lombardie du moins, la petite culture et la petite propriété sont favorables à la production agricole et à la formation du capital rural.

Voyons maintenant l’influence que ces deux formes distinctes de culture exercent sur la population. Le sol lombard, comme on sait, est très morcelé ; or ce morcellement a-t-il eu pour conséquence, ainsi que l’ont prédit certains économistes anglais, de multiplier le nombre des habitans bien plus rapidement que les moyens de subsistance, et d’engendrer par suite le paupérisme ? C’est précisément le contraire qui arrive. En 1818, la Lombardie comptait 2,167,782 âmes,

  1. En Prusse par exemple, où l’on rencontre la très grande propriété dans les provinces de l’est et la très petite propriété dans celles de l’ouest, il se trouve que la première nourrit infiniment moins de bétail que la seconde. En Saxe, pays assez peu étendu et où la propriété est très divisée, la statistique officielle a constaté que sur les petites propriétés en dessous d’un acker 65 ares à peu près, on trouve, en réduisant tout le cheptel en têtes de bêtes à cornes, 5,613 têtes par 1,000 achers, et 110 têtes sur la même superficie dans les propriétés dépassant 1,000 ackers. Dr Engel, Zeitschrift des statistischen Büreau’s des Kœnigl. sœchsischen Ministeriums des Innern, n° 1, Februar 1857.
  2. Il en est partout ainsi en Europe : la petite propriété dans le même pays est moins endettée que la grande propriété, et les pays de grande propriété le sont plus que les pays de petite propriété. En Angleterre la dette hypothécaire s’élève à 50 pour 100 de la valeur du sol, en France à 10 pour 100 seulement, suivant MM. Passy et Wolowski. En Prusse, sur les bords du Rhin, on retrouve à peu près la même proportion qu’en France ; dans les provinces orientales, la proportion constatée en Angleterre est même dépassée. Voyez, pour ce dernier point, Kommiss.-Bericht der 2 Kammer vom 8 Mai 1851, cité par le président Dr Adolphe Lette dans son excellent opuscule Die Vertheitung des Grundeigenthums, Berlin 1858.