Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fils d’Esharaddon, » lequel Esharaddon était lui-même le fils de Sennacherib. Quand il s’agit de temps plus modernes, la fly leaf nous accable sous le poids de sa formidable érudition. Faut-il, par exemple, justifier de l’exactitude des costumes dans Richard III ? Rien de plus simple, comme on va voir. « Les autorités consultées sont : les Anciennes Armures, de Meyrick ; les Anciens Costumes de la Grande-Bretagne, du col. Smith ; l’ouvrage inédit de Planche sur le costume de Richard III, les Vêtemens et Habits du peuple d’Angleterre, par Strutt ; l’Encyclopédie archéologique de Fosbroke, le Monasticon anglicanum de Dugdale, les Effigies monumentales de Stothard, les Chroniques de Froissart, etc. » Arrêtons-nous : une feuille volante peut seule se passer la fantaisie d’un aussi lourd bagage. Franchement, et la main sur le cœur, peut-on la prendre au sérieux ? Et comment allier cette gravité pédante, ce charlatanisme anglo-allemand avec la frivolité des résultats qu’on lui demande ?

Quoi ! vous vous enterrez, dites-vous, dans la poussière des pinacothèques, et cela pour arriver à faire défiler devant nous un cortège digne du mardi-gras ! Vous allez demander à Diodore de Sicile un morceau de tartan pour habiller le thane de Cawdor et ses sauvages henchmen ! Il vous faut compulser Froissart et Dugdale, qui pis est, avant de nous présenter Richard III dans une tenue suffisamment archéologique ! C’est là véritablement de la haute comédie. C’est le ridicule abus d’une chose excellente. Il faut, certes il importe que, dans certaine mesure, certaines convenances de paysage, d’architecture et de costume soient religieusement observées. Macbeth ne serait plus toléré dans l’habit rouge à galons qu’il portait sous la reine Anne, et nous n’aimerions pas à voir Iago vêtu du pourpoint noir de Tartuffe ; mais lorsqu’une vraisemblance approximative laisse à l’illusion carrière libre, la tâche du décorateur, celle du costumier est à peu de chose près terminée. Tout soin poussé au-delà devient, à notre avis, surérogatoire, et risque de dénaturer l’effet qu’on a voulu produire. Multipliez les décors, compliquez la mise en scène, dessinez des groupes pittoresques, disciplinez et faites évoluer en tout sens des figurans de plus en plus nombreux, ce n’est pas le poète, ce n’est pas le spectateur intelligent qui vous en saura gré : c’est la plèbe, dont il faut amuser l’œil, car on ne peut éveiller son intelligence. Et les cent représentations de quelque vieux chef-d’œuvre abandonné[1] que l’on obtient ainsi à grands risques et à grands frais ne sont ni un triomphe pour le génie qui, sans tous ces accessoires,

  1. Et si ce n’étaient que des chefs-d’œuvre ! Mais le Pizarre de Sheridan, repris en vue des magnificences péruviennes, mais le Winter’s Tale encore, simple prétexte de décorations syracusaines, et qui semble, d’après la fly leaf, n’avoir d’autre objet que de montrer le temple de Minerve, tel qu’il était trois cent trente ans avant Jésus-Christ !…