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écrit le consentement de son père à cette transaction qui, sans doute violant des répugnances formellement exprimées, empiétait quelque peu sur des droits évidemment légitimes. Price trouva la chose tout à fait naturelle, et se chargea de faire parvenir la respectueuse missive de ce fils innocent. Aucune réponse n’arrivant dans le délai voulu, on traduisit selon le proverbe, par un acquiescement implicite, le silence dans lequel se renfermait Edmund Kean. Charles ne soupçonna que bien plus tard une vérité déjà pressentie par ceux de nos lecteurs qui se piquent le moins de pénétration et de perspicacité. L’honnête directeur avait purement et simplement escamoté, supprimé la lettre qui menaçait de faire échouer sa merveilleuse combinaison. Ce n’est point là, il faut bien l’avouer, le plus blâmable de tous les expédiens auxquels Frère Jonathan se soit vu conduit par la morale du Go-ahead ! Et pourtant cette espièglerie passait un peu la mesure, la mesure d’Europe, la seule que nous pensions pouvoir employer, alors même qu’une fin heureuse semble avoir justifié des moyens difficiles à qualifier poliment.

Ce fut ainsi, sans préparation, sans réflexion, sans vocation spéciale et sous le coup d’une absolue nécessité, qu’un pauvre jeune homme, disons mieux, un pauvre enfant[1], fut soudainement appelé à une épreuve faite pour effrayer les plus experts et les plus téméraires. Il parut à Drury-Lane, dès le premier soir de la saison dramatique, dans la célèbre tragédie classique que Home, le poète écossais, a placée sous le patronage du grand nom de Douglas. On avait tout exprès choisi pour lui le rôle d’un adolescent, le jeune Norval, propre à mettre en relief sa grâce imberbe et à lui gagner d’avance, par là même, l’indulgence des juges les plus sévères. Les détails de cette soirée (1er octobre 1827) ont quelque chose de poignant, et tout à la fois provoquent je ne sais quelle gaieté perverse. Cet écolier candide, nécessairement gauche, intimidé, sans contenance et sans voix, arrivait devant un parterre éminemment prédisposé en sa faveur, mais aussi maladroit dans sa bienveillance que le débutant pouvait l’être dans son débit et dans ses gestes. À partir de la première scène, de vigoureux applaudissemens saluèrent toutes les entrées, adressés au jeune inconnu que l’on attendait avec impatience ; or les applaudisseurs ignoraient qu’il ne paraissait point au premier acte, et s’aperçurent après coup seulement que leurs bravos prématurés pleuvaient, sans rime ni raison, sur des comédiens vieillis sous le harnais. La même méprise se reproduisit au second acte, quand les vassaux de lord Randolph firent leur entrée, amenant, chargé de chaînes, le déloyal serviteur du noble

  1. Il n’eut ses dix-sept ans accomplis que trois mois après son début sur la scène.