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l’art, non moins que pour la profession, qu’il en soit ainsi, car l’art perd tous les jours le caractère scientifique qu’il devrait acquérir, et faute de ce caractère, qui fait sa force, la profession n’a plus le prestige qu’elle devrait avoir. L’empirisme fait des progrès incessans et rapides ; le nombre des empiriques se multiplie de plus en plus. Malgré ses accroissemens considérables et ses précieuses conquêtes, la médecine ne parvient donc pas à convertir les incrédules qui mettent en doute l’efficacité de ses moyens. Quant aux médecins, uniquement occupés de la pratique, comme d’un métier qui les fait vivre, ils s’inquiètent fort peu des questions de doctrine ; n’ayant plus conscience de leur valeur scientifique, ils voient leur importance décroître pour avoir oublié le rôle qui leur convient. Ce qui est aujourd’hui trop évident, c’est que l’éducation philosophique qu’ils reçoivent est imparfaite ou vicieuse : on aborde l’étude de la médecine sans préparation sérieuse, et la culture littéraire est insuffisante aussi bien que la culture scientifique. Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que l’enseignement médical, tel qu’il est établi, ne remédie point à ces vices d’éducation, qu’il serait possible d’atténuer, en attendant des réformes radicales et urgentes, si les facultés de médecine étaient véritablement des écoles, c’est-à-dire si dans chacune d’elles ceux qui reçoivent les leçons des maîtres trouvaient ce qui manque également partout : des règles pour la direction de l’esprit, des principes scientifiques, des doctrines fondées sur ces principes, avec une théorie fondée sur ces doctrines. De tout cela naît l’unité, c’est-à-dire la plénitude d’une conception vraie, capable de satisfaire l’esprit, de le convaincre, de l’affermir et de donner à ceux qui exercent la médecine, aussi bien qu’à ceux qui l’enseignent, les convictions qui manquent à tous, et sans lesquelles il n’y a point de force. On ne fait ici qu’exprimer les regrets de quelques amis sincères de la médecine : quant à leurs vœux, un enseignement complet de la philosophie médicale pourrait y répondre ; mais comment l’obtenir tant qu’on n’enseignera point, à côté de la pathologie générale, la science de l’organisation et l’histoire de la médecine ? L’expérience du passé contrôlée par la critique, tel est le vrai fondement de la médecine moderne.

Si le lecteur nous a suivi jusqu’au point où nous voulions le conduire, — c’est-à-dire l’époque actuelle, — il doit comprendre maintenant que la véritable critique médicale était incompatible avec l’existence simultanée de tant de systèmes divers. La biologie n’existait point il y a soixante ans ; depuis qu’elle existe, la médecine a trouvé un fondement solide, une base inébranlable, une philosophie propre, dont le principe est celui-ci : la maladie n’est qu’une altération des propriétés normales des parties vivantes. Avec ce principe, la marche de l’art est tracée, et prévue la direction qu’il doit