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contre lequel réagirent les médecins naturistes, attachés aux traditions hippocratiques. Avec la renaissance, tout le savoir de l’antiquité, conservé dans les livres, reparut, et fut bientôt dépassé. Ce fut une période orageuse pour la médecine, livrée aux théories ambitieuses des iatro-mathématiciens et des iatro-chimistes. Cependant l’anatomie normale faisait chaque jour de nouvelles découvertes. La pathologie ne pouvait manquer d’avoir à son tour une anatomie, comme la physiologie avait la sienne. En effet, l’anatomie pathologique, préparée lentement par des observateurs patiens, prit consistance avec Bonnet, avec Barrère, et se révéla enfin, telle qu’elle devait être, dans le bel ouvrage de Morgagni sur les causes et le siège des maladies. Ce titre seul était un manifeste, et contenait toute une révolution. Appeler l’attention des médecins sur les lésions des organes, c’était ébranler la croyance traditionnelle suivant laquelle la maladie était généralement considérée comme quelque chose d’indépendant, d’existant en soi. Ce fut la gloire de Broussais de résoudre le problème posé par Morgagni : sa solution est définitive, et il est démontré maintenant que la maladie n’est autre chose qu’une altération, une perturbation survenue dans les tissus, dans les propriétés ou dans les fonctions de l’organisme, de sorte que Broussais a fait pour la pathologie ce qu’a fait Bichat pour la biologie, et ce que Gall a tenté de faire pour la physiologie cérébrale, laquelle est aussi une partie intégrante de la biologie.

Ici une réflexion se présente. À la doctrine fondamentale établie par Broussais, on oppose sans cesse les travaux de l’anatomie pathologique, travaux consciencieux et méritoires, dont l’utilité n’est pas contestable, mais dont l’insuffisance est aujourd’hui manifeste. Laënnec, observateur exact et pénétrant, est le véritable chef de cette école, et le seul peut-être des adversaires de Broussais qui mérite une considération sérieuse à cause de sa bonne foi scientifique et de la fermeté de ses convictions : l’art médical doit beaucoup à sa méthode d’exploration pour le diagnostic des maladies. Laënnec croyait avec Meckel qu’il suffit d’appliquer à la médecine, non pas la physiologie, mais l’anatomie seulement, persuadé que, pour étudier et bien connaître les lésions des organes, il importe surtout de s’attacher à l’examen des formes. En conséquence, son école se proclame, à l’exemple du chef, purement anatomique, et elle s’efforce de décrire exactement par des dissections fines et minutieuses les produits anormaux ou morbides, sans se préoccuper de la composition anatomique élémentaire, à laquelle la forme est nécessairement subordonnée, et de laquelle dépendent tous les caractères observés dans les lésions de chaque organe, c’est-à-dire les altérations mêmes de la substance organisée, en volume, couleur et consistance. De la sorte, cette école fait abstraction de deux choses capitales :