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borné, — même chose souvent, — il n’en avait pas moins de grandes prétentions ; il s’étudie à toutes les pages à montrer qu’il n’est étranger ni aux doctrines ni aux théories médicales, pour lesquelles il professe d’ailleurs un dédain superbe. L’expérience étant tout pour lui, il déclare n’appartenir à aucune secte ; il n’est d’aucun parti et en tire vanité : il se croit pourtant obligé de faire sa profession de foi, et dans sa haute indifférence il ne trouve rien de mieux, pour exprimer son opinion impartiale sur les systèmes, soit de philosophie, soit de médecine, que la phrase connue de Grotius : « Aucune secte ne possède la vérité tout entière ; mais chacune possède une parcelle de vérité. »

Voilà ce qu’on peut appeler un des partis de la médecine, le parti des éclectiques, qui brouillent tout en prétendant tout concilier. Les empiriques purs se montrent infiniment plus logiques. Par empiriques, nous entendons les praticiens instruits qui s’appliquent plus particulièrement à l’étude stricte des faits, et prennent l’observation pour guide principal. Désespérant de trouver le vrai dans les systèmes qu’ils ont bien ou mal étudiés, ils renoncent à tout système, et ne suivent que la nature, faisant bon marché des livres et des théories, et puisant toute leur instruction médicale au chevet du malade. Il se peut qu’ils croient de bonne foi n’avoir point de système ; au fond, ils sont réellement systématiques, puisque c’est par raisonnement et de parti-pris qu’ils deviennent empiriques. Cette médecine du bon sens, comme on l’appelle quelquefois, compte parmi ses nombreux adeptes des hommes distingués par l’intelligence et le savoir. Moins rigides que les empiriques de l’antiquité, ils savent accorder quelque attention aux connaissances dont ils prétendent ne pouvoir retirer aucun secours immédiat pour le résultat pratique qu’ils poursuivent. Beaucoup d’entre eux, effrayés sans doute de la contradiction apparente ou réelle des doctrines, des fictions et des hypothèses dont les systèmes abondent, se sont retranchés prudemment, derrière les faits d’observation et d’expérience, dans un empirisme méthodique ou raisonné, qui n’est, en définitive, qu’un subterfuge commode pour échapper soit au pyrrhonisme, soit à l’éclectisme médical[1].

Une question se présente cependant, et nous paraît mériter une sérieuse étude. L’histoire de la médecine doit-elle inévitablement conduire à un tel résultat ? L’empirisme de la méthode ou du hasard est-il en pareille, matière au bout de l’appréciation historique des systèmes, des théories et des doctrines ? L’examen de cette

  1. Voyez Lettres philosophiques et historiques sur la Médecine au dix-neuvième siècle, par le Dr P.-V. Renouard, auteur d’une Histoire de la Médecine depuis son origine jusqu’au dix-neuvième siècle.