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et la Dives ont fait à la vallée d’Auge un rempart qui se fortifie à mesure que ses deux épaulemens se prolongent. Ces promontoires sont autant d’épis qui ne diffèrent que par les dimensions de ceux avec lesquels il faudrait arrêter la démolition des falaises, et la nature fait ici en grand ce que l’art devrait faire ailleurs en petit ; elle enseigne les proportions et les effets des travaux qu’elle conseille, et montre par la stabilité même de ces travaux qu’on ne s’égare point en acceptant les formules qu’elle donne.

Les débris des falaises ne seraient pas tout ce que le système des épis enlèverait à l’encombrement de l’embouchure de la Seine : tous les sables du large qui se logeraient dans ces abris on que retiendraient les dunes seraient enlevés au courant qui se dirige vers Honfleur, et si l’on augmentait en les boisant le volume des dunes qu’il côtoie, elles retiendraient les masses de sable que leur nudité permet aux vents de leur enlever et de rejeter à la mer. Nous nous abusons beaucoup, ou il existe des moyens sûrs de conjurer les effets de la marche fatale des matières terreuses qui se détachent des cotes de la Basse-Normandie pour aller détériorer le plus précieux atterrage que nous possédions sur l’Océan. Si l’indication de ces moyens ne ressortait pas du régime hydraulique de la baie, il faudrait s’en défier ou plutôt leur refuser jusqu’à l’honneur d’un examen ; mais s’il s’agit simplement de s’approprier les procédés par lesquels la mer répare elle-même les brèches qu’elle a faites, l’élévation du but et la certitude de l’atteindre doivent encourager les études.

On vient de voir ce que vaut Le Havre comme établissement commercial, et quels graves intérêts s’y trouvent aujourd’hui menacés. Rappeler ici les événemens militaires dont Le Havre a été le théâtre, les attaques dont il a été l’objet, les moyens employés pour les repousser, ce serait aborder un nouvel ordre de faits qui doivent être considérés à part. Les ports secondaires ouverts sur la basse Seine ont eu leur part des vicissitudes militaires du Havre, et dans une arène si limitée et si homogène, les moindres accidens de guerre exercent sur le voisinage une réaction souvent plus importante dans ses conséquences que dans son origine. D’un autre côté, les portées de la nouvelle artillerie établissent entre les défenses de lieux que l’ancienne tenait pour trop éloignés une solidarité dont nos devanciers ne pouvaient pas avoir le pressentiment. Il convient de ne pas exposer séparément des choses entre lesquelles existe une étroite connexion, et nous entrerons dans l’ordre des faits militaires quand nous aurons achevé l’exploration du pourtour de l’embouchure de la Seine.

J.-J. Baude.