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de défense ; mais s’il fallait arrêter le mal partout où le germe en existe, l’entreprise dépasserait les forces humaines. Elle n’aurait rien d’excessif, si l’on se bornait aux 27 kilomètres compris entre la pointe de Beuzeval et Honfleur. Donnant sur l’intérieur même du golfe, y jetant directement ses débris, ce rivage n’est probablement pas celui qui, par rapport à sa longueur, fournit le moins de matériaux à l’encombrement : les envasemens du port d’Honfleur et de l’anse de Fiquefleur, sur lesquels se dirigent les courans qui le côtoient, confirment cette présomption, ici ce ne sont plus des galets, mais des sables qu’il s’agit de fixer ; les uns et les autres sont des fluides imparfaits dont la stabilité, soumise aux mêmes lois, se calcule sur les mêmes formules, et l’expérience faite à l’estacade de Trouville contient un enseignement complet sur l’efficacité des épis pour former des talus de sable artificiels, et pour éloigner les courans d’un rivage qu’ils dégradent. Les roches qui se montrent de distance en distance au-dessous des falaises s’offrent pour la fondation des épis dont les blocs détachés adjacens seraient les matériaux, et la manière la plus sûre d’entretenir ces constructions économiques serait d’y semer des moules et des plantes marines. Les sables accumulés dans les intervalles des épis défendraient le pied des falaises, et les éboulemens, conservant désormais leurs talus, n’iraient plus alimenter les envasemens. De simples pêcheurs ont pris à Villerville, l’un des points de cette côte les plus essentiels à préserver, l’initiative de ce moyen de forcer la mer à s’imposer elle-même des barrières. Avertis par les mouvemens de l’humble falaise sur laquelle reposent leurs demeures, ils en ont armé le pied d’épis faits avec des pieux et des planches, et le galet qui se loge dans les intervalles forme déjà un glacis rassurant pour l’avenir. L’efficacité qu’ont auprès du Havre de semblables travaux pour la conservation de la plaine de Leure suffirait pour les recommander, et moins ils ont coûté sur la rive opposée, plus la puissance du principe est évidente.

La pointe de Beuzeval, où s’arrête notre course d’aujourd’hui, est un observatoire élevé de 105 mètres au-dessus de la mer, qu’il ne faut pas quitter sans profiter d’un spectacle instructif. À nos pieds est l’embouchure de la Dives ; à trois lieues à droite, celle de la Touques, et à trois lieues à gauche, celle de l’Orne. À l’étale, toute la côte est unie ; mais à mesure que la mer baisse, nous voyons se découvrir et s’étendre trois promontoires formés par les sables que dégorgent ces trois rivières, et nous reconnaissons l’action sous-marine que ces sables exercent sur les courans du littoral. Ils se rangent entre ces promontoires, suivant la courbe que prennent les galets dans les coupures des falaises de Caux, et il est surtout curieux d’observer comment les dunes qui se sont amoncelées entre l’Orne