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dans la falaise. Celle d’Étretat a 360 mètres d’ouverture, celle de Fécamp 460, celle de Dieppe 1,470, celle du Tréport 1,380. De tels rentrans latéraux ont offert aux courans de marée des vides où les eaux amorties ont déposé le galet dont elles étaient chargées. Obéissant alternativement à l’impulsion du flot et à celle du jusant, la traînée de galets s’est en même temps enracinée aux deux côtés de chaque coupure, et les deux jetées naturelles, marchant à la rencontre l’une de l’autre, se sont promptement réunies ; elles se sont fortifiées par l’affluence de nouveaux matériaux jusqu’au jour où cet élargissement les a exposées aux érosions des courans. La mer alors les a remaniées et leur a donné peu à peu le talus de plus grande stabilité ; elle les a même élevées fort au-dessus de son propre niveau : lorsque des vents violens la fouettent contre le rivage, elle cingle avec son embrun et son écume le galet hors de sa portée, et la répétition de ce jeu produit à la longue de formidables accumulations. Les digues ainsi façonnées par la mer affectent uniformément dans le plan horizontal la forme d’une chaînette[1] faiblement tendue, et dans le profil de leur talus extérieur une courbe plus compliquée, dont il suffit ici de dire qu’elle a sept de base pour un de hauteur. Des populations nombreuses s’endorment, en arrière de ces remparts naturels, dans une sécurité d’autant plus profonde que la puissance aveugle dont ils sont l’ouvrage les consolide par les assauts qu’elle leur livre.

Il suit de là que des épis enracinés au pied des falaises à des distances convenables les uns des autres donneraient lieu à la formation de digues concaves semblables à celles d’Etretat et de plusieurs autres coupures beaucoup moindres. La mer arracherait elle-même de leur lit de carrière les matériaux destinés à ces digues ; elle les transporterait à leur nouvelle place et les y rangerait dans l’ordre de plus grande stabilité. La seule part de l’homme dans ce travail serait le premier établissement des épis et l’entretien des musoirs qui formeraient les points saillans et les appuis du feston des chaînettes. Les falaises en avant desquelles serait assis ce rempart seraient aussi bien défendues que celles de Graville, et les mêmes effets s’y produiraient : les éboulemens continueraient jusqu’à ce que les talus du terrain fussent en équilibre, et des pentes boisées se substitueraient aux escarpes blanchâtres dont la sauvage grandeur

  1. La chaînette est la courbe que décrit une chaîne suspendue par ses extrémités à deux points horizontalement placés. En décrivant ces digues naturelles, il est permis de faire abstraction des chenaux dont elles sont percées pour la navigation à Fécamp, à Saint-Valery-en-Caux, à Dieppe et au Tréport. Ces chenaux sont des ouvrages d’art dont le galet reprendrait promptement possession, si les soins pris pour l’en expulser étaient suspendus. À Étretat, où l’on n’a point établi de chenal, les eaux intérieures filtrent en dessous du banc de galets.