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réservoirs et s’en échappent alternativement ne sont point inutiles au maintien des atterrages, qu’enfin le mieux dont on se flatte conduit parfois à la perte du bien dont on jouit.

Quand le golfe sera comblé, quand ce grand atelier de trituration n’existera plus, les masses énormes de débris que les marées amènent des falaises de Caux et des côtes du Calvados à la rencontre des alluvions de la Seine s’arrêteront inévitablement à l’entrée du fleuve ; les bancs déjà formés en avant du Havre, et dont les travaux récens des hydrographes de la marine ont constaté le progrès, s’exhausseront, et avec ses abords obstrués, Le Havre, que rien ne peut remplacer sur les bords de la Manche, deviendra un établissement de l’ordre d’Honfleur ou de Trouville. Ce résultat peut paraître douteux, quand on se borne à considérer l’intérieur de l’embouchure de la Seine ; mais il devient clair comme une équation, lorsque, sortant de la baie, on remonte à la source des alluvions menaçantes auxquelles notre imprudence prépare une place. Il est heureusement encore temps de s’arrêter. Les endiguemens ont maintenant assuré l’amélioration de l’atterrage de Rouen : les poursuivre, ce serait assurer la perte de celui du Havre.

La génération qui conduit aujourd’hui les affaires de la France aura-t-elle accompli sa tâche et donné aux générations qui la suivront autant qu’elle a reçu de celles qui l’ont précédée, lorsqu’elle se sera abstenue de rendre inaccessible du côté du large un port dans l’intérieur duquel s’exécutent aujourd’hui même de magnifiques travaux ? Non sans doute, si elle peut faire davantage ; or l’étude d’un petit nombre de circonstances naturelles et du parti qu’en ont tiré en dehors du Havre de pauvres pêcheurs permet d’espérer qu’il est possible, sinon de tarir la source des alluvions, dont le cours naturel amènerait la destruction de notre établissement maritime, du moins d’en suspendre indéfiniment les effets. Pour donner à ce sujet des indications suffisantes, il faut considérer séparément les deux côtés de l’entrée de la Seine.

Les bases manquent pour la détermination de la part des 648,000 mètres cubes de marne annuellement arrachés aux falaises de Caux qui se fixe dans l’embouchure de la Seine : la marche des courans chargés de ces dépouilles, les circonstances qui favorisent ou contrarient les dépôts sont sujettes à trop de variations pour être saisissables ; mais une chose est hors de doute, c’est l’immense préjudice que cause au golfe intérieur de la Seine et au port du Havre l’alimentation de ce courant vaseux.

Ces considérations frappaient, une trentaine d’années, après la fondation du Havre, l’esprit curieux et entreprenant d’Henri II. Le courant de galets, probablement plus nourri alors qu’il ne l’est aujourd’hui, venait obstruer le chenal et former un poulier en avant :