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la nuit du 26 janvier 1772, un éboulement, dont l’ingénieur du port observait les avant-coureurs depuis trois ans, s’étendit sur quatre kilomètres à l’ouest d’Honfleur, et la tranche de terrain détaché avait une quinzaine de mètres d’épaisseur. Est-il présumable que, quand la terre tremblait à la côte de Grâce, le voisinage demeurait intact ?

L’exploration des trois sources principales des atterrissemens qui rétrécissent de siècle en siècle dans le golfe intérieur de la Seine le domaine de la navigation ne nous a point appris quelle part il retient de ces débris. À la juger sur les enquêtes dont les travaux d’endiguement projetés en aval de Quillebeuf ont été l’objet, cette part serait peu de chose ; elle se réduirait à peu près aux matières siliceuses et autres qui, retenues par leur pesanteur spécifique ou leur volume, roulent sur le fond ; les matières vaseuses qui sont en suspension dans les flots ne paraîtraient dans la baie que pour en sortir avec le jusant, et une fois portées au large, elles en reviendraient rarement. Cette appréciation serait exacte, si les mouvemens qui s’opèrent dans les grands chenaux du golfe étaient les seuls dont il fallût tenir compte ; mais la propriété de tenir en suspension des sables ou des vases croît, diminue, se perd avec la vitesse et l’agitation des eaux, et rien n’est plus inégal que leurs allures, quand elles sont répandues sur une surface de 25,000 hectares. Tandis que des courans puissans entament leurs bords et le fond sur lequel ils roulent, ils alimentent des nappes latérales dans lesquelles une portion de leurs eaux s’endort et dépose le fardeau qu’elle leur avait emprunté. De César à François ler, les courans de la basse Seine avaient autant de vivacité qu’aujourd’hui ; cela n’a pas empêché les atterrages de Lillebonne et d’Harfleur de se combler, et le chenal navigable peut passer au bout des jetées d’Honfleur sans que l’intérieur du port cesse de s’envaser.

Les conséquences de faits aussi saillans sont faciles à tirer, et la première qui se présente à l’esprit est que l’étendue des surfaces livrées au calme est, dans ce golfe, la véritable régulatrice de la quotité des dépôts. Si l’on enferme de Quillebeuf à Honneur le chenal entre deux digues, à la sortie desquelles il se dirigera sur Le Havre, les eaux qui le suivront n’y laisseront aucune trace, elles y opéreront un curage continuel ; mais celles qui s’épancheront par des ouvertures latérales, ou pénétreront directement en arrière des digues, y trouveront à chaque marée plusieurs heures de repos ; un immense volume de vase, qui retourne actuellement à la mer, sera ainsi fixé, et le vide où circulent aujourd’hui des eaux courantes se comblera à vue d’œil. Une seule expérience directe sur la puissance d’envasement des eaux du golfe a été faite, dans des circonstances analogues, de 1847 à 1850, et les résultats en ont été constatés authentiquement. Il s’agissait de donner la mesure des