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fait que changer un peu de direction : l’histoire de l’avenir doit ressembler à celle du passé, et les reflets de l’une éclairent l’autre.

Deux faits généraux dominent tous les faits spéciaux dont la réunion constitue le régime hydraulique de l’atterrage de la Seine. Ce sont, d’une part, la nature des terrains que corrodent le fleuve ou les courans marins qui se forment à l’embouchure, — de l’autre, les allures des marées qui roulent, dispersent et déposent les débris de ces rivages tantôt dans les profondeurs de l’Océan, tantôt sous nos yeux et jusqu’à l’entrée de nos ports. Les eaux sont ici le dissolvant des terrains anciens et les distributrices des terrains nouveaux qui naissent de leurs débris ; mais les résultats de l’action des eaux varient suivant la résistance des bords auxquels elles s’attaquent. Il faut donc, pour comprendre les phénomènes particuliers dont nous avons à considérer les conséquences avantageuses ou nuisibles, commencer par se faire une idée exacte et des forces vives que la nature met ici en jeu, et des masses inertes saisies dans le conflit des élémens, et dont, a dit Ronsard,

La matière demeure et la forme se perd.

Si les eaux qui convergent de l’intérieur des terres ou du large vers l’embouchure de la Seine roulaient sur des basaltes ou des porphyres, elles ne feraient guère qu’en polir la surface, et le peu de débris qu’elles arracheraient à ces roches n’altérerait pas sensiblement la profondeur du récipient où elles les déposeraient ; mais la formation soumise à leur action n’est pas de celles qui résistent le mieux aux corrosions du temps et des eaux. Considérée dans la totalité de l’étendue des départemens de l’Eure et de la Seine-Inférieure, et dans la partie orientale du département du Calvados, cette formation consiste en une couche calcaire très puissante, superposée à une argile compacte d’une profondeur inconnue, et surmontée d’une couche arable où l’argile domine. C’est le même terrain dont les blanches escarpes ont valu, sur le rivage opposé, le nom d’Albion à l’Angleterre. Composé de déjections et de débris d’animaux aquatiques, ce calcaire est le résultat d’accumulations sous-marines dont, à défaut de notre science incertaine, l’imagination a peine à se faire l’idée. Elle s’effraie en se demandant combien de temps la vie s’est agitée dans ces masses incommensurables, et comment elle s’est éteinte après les avoir élaborées. La silice à l’état gélatineux était répandue en abondance dans la formation calcaire, et elle s’en est isolée en s’agglomérant par une véritable cémentation en rognons qui affectent les formes les plus diverses. Le plus souvent, ces rognons sont confusément empâtés dans la craie, comme si tous les matériaux