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pays des Calètes, dont nous avons fait le pays de Caux, n’avait pas de meilleure station maritime que celle de la ville de Jules-César. Abritée des vents d’ouest et des coups de mer par la pointe de Tancarville, flanquée des collines du Val-Varin et du Mesnil, elle offrait aux navires un calme qui favorisait malheureusement aussi les atterrissemens. Le port s’allongeait perpendiculairement au cours actuel du Bolbec en un bassin de 50 hectares, dont le contour est nettement tracé au bas du terrain solide sur lequel la ville est bâtie. Gisement avancé dans l’intérieur des terres, sûreté de la rade, commodité du port, rien ne manquait à la ville des Calètes de ce qui fait les bonnes stations maritimes, rien que des garanties d’avenir, et les flottes romaines destinées à agir sur les côtes de la Manche ne pouvaient avoir de point d’appui ni de refuge plus sûr. César, dit Strabon, avant d’entreprendre ses expéditions contre la Grande-Bretagne, avait établi une station navale dans l’embouchure de la Seine. Les marchandises étaient transportées par terre de la Saône à la Seine, puis dans le pays des Lexoves et des Calètes, et Là on les embarquait sur l’Océan.

L’accumulation des alluvions sous lesquelles est enseveli l’établissement maritime de Lillebonne s’est accomplie en silence au milieu des ténèbres du moyen âge, et quand le port fut définitivement abandonné par la navigation, Harfleur, situé à 26 kilomètres plus bas, recueillit naturellement cet héritage ; il devint le foyer de toutes les opérations militaires et maritimes de l’embouchure de la Seine. Dès le temps des Romains, cet atterrage était une sorte de succursale et d’avant-rade de Juliobona ; une voie romaine, dont les tronçons se retrouvent sur la côte et ont conservé le nom de Chaussée-de-César, les unissait l’une à l’autre. L’histoire d’Harfleur, depuis l’an 512, où le roi Arthus l’enleva à Lucius, qui représentait à cette extrémité de la Gaule la puissance romaine défaillante, jusqu’à l’an 1449, où Dunois en chassa les Anglais, est presque toute l’histoire navale de notre pays. Le port était aussi vaste, aussi sûr que bien placé. Aucune place n’a été disputée avec tant d’acharnement entre la France et l’Angleterre, et c’était avec raison ; le maître d’Harfleur l’était de l’embouchure de la Seine. Un jour vint enfin (1521) où, François Ier ordonnant des armemens à Harfleur, on lui répondit que le temps en était passé, et que l’envasement de l’atterrage n’en permettait plus l’accès qu’à des barques. On prit le parti de descendre encore vers la mer ; Harfleur fut abandonné comme l’avait été Lillebonne, et ce fut le tour du Havre.

Les effets dont voilà l’esquisse décolorée passent inaperçus dans une vie d’homme ; ils laissent des marques profondes dans celle d’une nation. Les causes qui les ont produits n’ont pas cessé d’être agissantes ; la source des atterrissemens n’est pas tarie ; ils n’ont