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Galissonnière devint une affaire de parti ; on se piquait de s’arrêter sur le seuil de ses établissemens, quand il aurait fallu y entrer, et les échevins, les taxant de fantaisies dont la ville n’avait que faire, se débattirent longtemps pour en mettre la dépense au compte du roi. Dans sa correspondance avec Colbert, l’intendant se plaint amèrement de cette contumace des esprits du Havre, et ses plus grands ennuis ne lui venaient pas des valets et menues gens auxquels, à défaut d’amendes, un guichetier à cent livres de gages appliquait, sur la partie pécheresse apparemment, les corrections ordonnées par la police : les délinquans se trouvaient dans toutes les classes de la société ; les échevins étaient toujours de leur parti, et il fut même question, en présence du refus de l’autorité municipale, d’organiser ad hoc un contrôle supérieur. Enfin, poussé à bout, M. de La Galissonnière écrivait à Colbert : « En vérité, mon avis seroit que sa majesté écrivit elle-même à M. de La Caissière d’y tenir fortement la main (à la propreté du rempart, bien entendu)… » Et comme s’il s’attendait à ce que le parlement s’en mêlât : « Je finis, dit-il, en observant qu’il sera plus sûr d’autoriser le règlement proposé par un arrêt du conseil, et même qu’en cas d’opposition, sa majesté s’en réserve la connoissance, quand ce ne seroit que pour un ou deux ans. » Ces luttes sur un sujet qui intéresse au plus haut degré la santé publique donnent une idée de ce qu’était parmi nous la police municipale aux plus beaux jours du règne de Louis XIV, et les curieux qui prennent aujourd’hui la peine de faire le tour des remparts du Havre ou de ce qui les remplace peuvent s’assurer que, malgré les révolutions, le respect des anciennes mœurs n’est point encore perdu dans la ville.

L’assainissement a récemment fait des progrès importans dans l’intérieur du Havre, et, pour ne citer que les plus visibles, le pavage du cours Napoléon et de quelques-unes des humbles rues habitées par les ouvriers a notablement rétréci le domaine des fièvres paludéennes. L’abondance des eaux potables et le comblement des marécages adjacens n’en demeurent pas moins les conditions fondamentales d’une parfaite salubrité. Vauban a jalonné la voie qui doit conduire à ce double résultat, lorsqu’il a tracé le canal par lequel il entendait amener d’Harfleur au Havre les belles eaux de la Lézarde. Aujourd’hui que Le Havre compte 65,000 habitans et promet de doubler de population, ce n’est plus dans les fossés de la place, mais au-dessus du niveau de ses rues, qu’il faut faire arriver ces eaux. La profusion d’eau salubre n’importe guère moins à la vigueur et à la santé de populations adonnées à des travaux de force que la solidité de l’alimentation, et l’Angleterre semble jusqu’à présent avoir seule le secret de la puissance que verse cette sève