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L’histoire n’a pas dédaigné d’enregistrer l’apparition de ce Leviathan du XVIe siècle : le grand mât avait quatre hunes, et la coque contenait une forge, un moulin à vent, et, entre autres choses non moins indispensables, un jeu de paume. Quand la nauf dut prendre la mer, elle ne put pas dépasser le môle de la grande tour, fut à grand’peine ramenée au fond du port, y fut renversée sur le flanc par un coup de vent, et ne se releva plus. Les débris servirent à la construction de nombreuses maisons de bois dont s’enrichit le quartier de La Barre. La Grande-Françoise était destinée à marcher contre les Turcs avec les Anglais, auxquels nous liait pour cette entreprise le traité de Boulogne de 1532, et Henri VIII, jaloux des dimensions du navire de son voisin, prétendit en avoir un au moins égal ; mais la copie ne fut pas plus heureuse que le modèle. Le Havre fut dès lors le port d’armement de la France sur l’Océan, et les constructions navales s’y multiplièrent : il fut en 1545 le point de ralliement de la grande flotte qui fit, sous le commandement de l’amiral d’Annebaut, une descente malheureuse en Angleterre. Le roi, venu pour assister au départ de l’expédition, donna une grande fête à bord du vaisseau-amiral, le Philippe, de cent canons, sorti des chantiers voisins ; mais un incendie s’y déclara pendant la fête, et le vaisseau fut perdu. François Ier lui-même préparait un rival à son établissement militaire de la Seine, lorsqu’il consommait la réunion de la Bretagne à la France ; l’arsenal du Havre n’était pas fait pour soutenir la concurrence de celui de Brest, et du jour où le cardinal de Richelieu eut apprécié tous les avantages de cette dernière position, les armemens du Havre allèrent en déclinant. Ce ne fut point un mal ; l’émigration de la marine militaire facilitait le développement de la marine marchande, et le port devait plus gagner à l’un qu’il ne perdait à l’autre. Le déménagement fut toutefois lent à s’accomplir, et le dernier vaisseau de ligne lancé au Havre fut le Fendant, de soixante-dix canons, en 1701. Un souvenir douloureux est attaché au nom de ce bâtiment : il fut envoyé à Dunkerque pour être monté par Jean Bart, et ce grand marin prit, en complétant l’armement, la fluxion de poitrine dont il mourut. Des navires de guerre de moindre échantillon ont depuis été construits au Havre ; mais les restes de l’établissement militaire furent transférés à Brest à l’issue de la guerre de sept ans.

La population du Havre eut, dès ses premiers jours, à compter avec un ennemi terrible, l’insalubrité. La plaine de Leure, dont la ville occupe l’extrémité occidentale, a environ 1,800 hectares, et si l’on s’en rapporte aux plans de l’époque, elle devait, au XVIe siècle, peu différer en étendue de celle d’aujourd’hui. Réceptacle des suintemens des falaises qui la dominent, enveloppée dans un bourrelet