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Et moi je le vois de reste, mais je l’adore ! Ne me dites plus rien d’elle. Laissez-moi attendre et souffrir.

Devant ma mère, j’affectais la confiance et la gaieté. Seul, j’étais en proie aux furies. J’accusais Love, j’essayais de me détacher d’elle, et, chose horrible à penser, il y avait des momens où je me surprenais à désirer la mort de son frère ; mais ce monstrueux souhait ne me soulageait pas. Je sentais bien que, si je devenais la cause de cette mort. Love ne pourrait jamais se décider à me revoir.

Au bout de cette mortelle quinzaine, j’appris par un indifférent que le jeune Butler était mieux, et qu’on l’avait vu se promener en voiture du côté de la Chaise-Dieu. N’y tenant plus et me sentant devenir fou, je partis à tout hasard pour Bellevue.

— Peut-être s’est-on trompé, me disais-je. Si Hope était guéri, ne me l’eût-on pas fait savoir ? S’il ne l’est pas, s’il garde encore le lit, je pourrai au moins dire à Love quelques mots dans une autre pièce. D’ailleurs je verrai M. Butler ; il est réellement guéri, lui, il s’expliquera. Si je ne peux parler ni à l’un ni à l’autre, j’apercevrai peut-être ma fiancée. Je connais maintenant la maison ; je saurai me glisser dans tous les coins. Et quand même je resterais dehors, quand même je ne verrais que la lumière des croisées, il me semble que cela me rendrait un peu de calme pour attendre, ou de force pour accepter mon destin.

Au point où nous en étions, ma visite ne pouvait plus compromettre personne. J’avais bu résolûment la petite honte de mon amour contrarié et de mon avenir remis en question. Je ne sacrifiais plus rien à la vanité. Quant à Love, elle avait conquis par sa franchise l’estime et le respect de tous les honnêtes gens. Je n’avais donc à ménager que la fantaisie et la maladie d’un enfant : cela ne me semblait pas bien difficile.

Comme j’étais à moitié chemin déjà, M. Black me revint en mémoire. Le pauvre garçon m’avait toujours déplu ; je me mis à le prendre en horreur, je ne sais trop pourquoi, si ce n’est parce que j’avais l’esprit malade. Je m’imaginai qu’il excitait Hope contre moi, que j’avais surpris des regards malveillans à la dérobée, des sourires de dédain en ma présence, enfin que je devais me méfier de lui et m’introduire à Bellevue sans qu’il me vît.

Il n’était que trois heures de l’après-midi. Je me trouvais à une lieue d’Allègre, où j’avais l’habitude de faire reposer mon cheval, quand je suivais cette route pour gagner la Chaise-Dieu. Je résolus de m’arrêter trois ou quatre heures là où j’étais pour attendre la nuit, et, prenant à droite un petit chemin de traverse, j’atteignis le hameau de Bouffaleure, où je mis mon cheval chez un paysan. De là, pour tuer le temps, je me rendis à pied au cratère de Bar, situé