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La conversation s’engagea en anglais et roula sur l’excellence des lois anglaises, l’alliance de la France et de l’Angleterre, la paix qui venait de terminer la guerre de Russie, le christianisme protestant et le catholicisme. Le prince se fit expliquer le sens du mot protection appliqué par de grandes nations de l’Europe à certains états ; il s’enquit avec inquiétude des projets que l’on prêtait alors à la France contre Madagascar, témoigna au missionnaire beaucoup de bienveillance personnelle, et déploya dans l’entretien plus de vivacité qu’on ne pouvait s’y attendre d’après le calme de ses manières. Le lendemain, ce fut le prince Ramonja, cousin du prince royal et troisième personnage de Madagascar, qui se présenta chez l’Européen ; l’entretien roula sur les mêmes sujets, et fut également amical. Les visites de bienvenue se succédèrent ainsi durant plusieurs jours, et amenèrent les uns après les autres des dignitaires de tous grades. À Madagascar, les fonctionnaires civils sont classés, de même qu’en Russie, à l’imitation des officiers militaires, et répondent à des catégories définies ; c’est ce que l’on appelle premier, second, dixième, treizième honneur. Les présens abondaient aussi de la part de Rakotond, de sa femme, la princesse Rabodo, nièce de la reine et de Ramonja ; puis le prince royal fit dire à son hôte qu’il voulait lui faire lui-même les honneurs de la contrée environnante, et qu’il mettait à sa disposition un cheval et un palanquin. Un matin donc M. Ellis se rendit au lieu assigné, dans un des faubourgs où se tenait un marché assez semblable à celui que nous avons vu à Tamatave. La population, très considérable, se pressait pour voir le prince et l’étranger. Des soldats, avec leurs canons montés sur des affûts de bois, formaient la haie, et des officiers portaient une épée d’argent à large poignée que chacun saluait en passant : c’est le Tsitialinga, ce qui veut dire haine des mensonges, un des emblèmes du pouvoir auquel on attribue la propriété de révéler les crimes et de faire connaître les coupables. Quand la terrible épée a accusé un homme et qu’on l’a plantée dans sa porte, le malheureux est mis hors la loi, et nul n’oserait lui donner asile.

Le cortège visita plusieurs résidences royales situées dans les environs de la ville, et notamment le palais d’Isoaierana, qui a été bâti pour Radama par un Français, M. Legros. C’est une belle construction, dans le style du pays, mais en bois d’ébène et d’érable, avec de magnifiques lambris, des attiques, un plancher en mosaïque, un double verandah et de riches ornemens à la toiture. Autour de la capitale, il y a des routes assez bien entretenues, et on traverse les rivières sur des ponts de construction grossière, mais solide, faits de roches massives, et dont les arches sont inégales. On rentra dans Atanarive par l’Ambohipotsi, qui en est la roche Tarpéienne : c’est