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— Eh bien ! vous ramènerez de Paris tout ce qu’il vous faudra. Partez demain, et ne sortez pas aujourd’hui de la maison. Il n’y a pas de danger que personne y entre, puisqu’elle est censée fermée et inhabitée. De cette manière-là, je réponds du succès de mon idée, et par ce temps de placement incertain et difficile, je vous assure un beau revenu et une complète sécurité, partant un mariage magnifique… Je ne sais pas encore avec qui, mais nous trouverons, gardez-vous d’en douter… Revenez vers le 15 juin, voilà tout ce que je vous demande.

Quand je me retrouvai seul dans cette maison déserte et sombre, je sentis l’horreur de la solitude peser sur moi beaucoup plus que dans les premiers momens d’émotion. J’avais perdu une dernière fois et sans appel le rêve de l’amour. Ma résolution de chercher le bonheur dans le repos semblait maintenant m’être prescrite par les circonstances. J’étais riche, j’avais des devoirs envers moi-même, et cela me faisait une peur véritable. Je devais compte de mon aisance et de mon crédit à une famille fondée par moi. Il ne m’était plus permis de rester garçon, sous peine de vieillir dans l’égoïsme et d’attirer sur moi la déconsidération qui s’attache aux misanthropes sans excuse. Ainsi mon bien-être me créait des obligations et me retirait ma liberté. Je me trouvai si triste de cela, que j’eus envie de repartir tout de suite pour l’Océanie.

Je m’interdis, et même sans trop d’efforts, de penser à miss Butler. J’éprouvais une sorte d’amère satisfaction à me dire que tout était brisé sans retour de ce côté-là, et que je ne m’étais pas trompé, lorsque, dans mes heures de désespoir, je l’avais accusée de froideur et d’ingratitude.

XVI.

J’étais si accablé d’ennui au bout de deux heures d’isolement et d’inaction dans un lieu rempli de souvenirs amers, que je résolus de n’y rentrer qu’avec une compagne de mon choix, et j’avais tellement hâte de me soustraire à la mélancolie noire qui semblait suinter sur moi des murs de mon château, que je pris le parti de dormir quelques heures et de me sauver vers minuit, aussitôt que la lune serait levée.

Je me jetai tout habillé sur le lit de la chambre d’honneur. C’est là que, dans mon enfance, ma mère me faisait faire la sieste auprès de son prie-Dieu quand nous étions seuls. Je me souvenais de l’avoir vue agenouillée à mon réveil comme je l’y avais laissée en m’endormant, affaissée plutôt que prosternée, pleurant ou rêvant dans l’attitude de la prière, et me donnant, à son insu, le navrant