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REVUE. — CHRONIQUE.

du musée de Stuttgart. Ce portrait, caché dans une galerie particulière, est popularisé aujourd’hui grâce au burin de M. Dertiger, et les admirateurs du poète aimeront à retrouver dans cette physionomie énergique et rêveuse le Schiller de la vingtième année, le révolutionnaire idéal qui préparait ses Brigands dans le cloître militaire du duc de Wurtemberg.

Heureux les poètes qui savent se faire aimer ainsi de leur peuple ! Heureux les peuples qui savent aimer ainsi leurs poètes ! L’Allemagne donne ici un noble exemple, et déjà ce concert d’admiration et de reconnaissance a trouvé des échos par-delà ses frontières. À Londres, l’éclatant interprète de l’esprit germanique, le biographe de Goethe, de Schiller, de Novalis, M. Thomas Carlyle, s’est chargé d’organiser la solennité du 10 novembre. Les Alle-inds qui habitent Paris ont voulu s’associer aussi à leurs frères du pays natal, et ils convient les Français à cette fête de l’intelligence. Non loin de l’emplacement où eut lieu, il y a quatre ans, l’exposition universelle des beaux-arts, la poésie et la musique célébreront le mâle génie qui se glorifiait d’être citoyen du monde. M. Louis Pfau sera le poétique interprète des sentimens de ses compatriotes ; un musicien qui appartient à la France autant qu’à l’Allemagne, l’illustre auteur des Huguenots, a considéré comme un devoir de prêter à cette fête ses splendides harmonies. Les lettres ont apporté aussi leur tribut : on sait combien certaines poésies de Schiller, par exemple l’Idéal et les Artistes, offrent de difficultés à un traducteur français ; plus d’un écrivain a reculé devant ces mystérieux arcanes. Or, il y a quelques mois, M. Muller, professeur de langue allemande au lycée de Montpellier, donnait une traduction complète des œuvres lyriques du poète, et dans cette copie aussi élégante que fidèle, toutes les difficultés du texte étaient courageusement attaquées ; M. Muller n’était-il pas soutenu dans son entreprise par le désir d’honorer l’anniversaire que va célébrer l’Allemagne ? Cette traduction n’est-elle pas une Festgabe, une Jubelscrift, comme disent M. Jean Scherr et M. Julien Schmidt ? Une véritable offrande pour le 10 novembre 1859, c’est le travail que va publier un membre éminent de l’Académoe des Inscriptions et Belles-Lettres. Le jour même de l’anniversaire tant fêté, le 10 novembre prochain, la librairie Hachette mettra en vente les premiers volumes des œuvres complètes de Schiller traduites par M. Adolphe Régnier. Nous avons sous les yeux la biographie que le savant traducteur a placée en tête de son édition, et nous pouvons affirmer que M. Julien Schmidt, M. Jean Scherr, M. Emile Palleske n’ont pas tracé avec plus de soin, et d’amour la physionomie de leur grand poète national.

Voilà, ce me semble, un épisode littéraire qui méritait de ne point passer inaperçu. Ces voix qui se répondent des deux côtés du Rhin forment une harmonie agréable à nos oreilles. Puisse-t-elle, cette harmonie, être un heureux présage ! Si nous en croyons les rares journaux allemands auxquels est permis de pénétrer en France, nos voisins voudraient donner un caractère politique à cette manifestation toute littéraire et morale. Le parti qui poursuit avec ardeur la réforme de la diète essaierait, assure-t-on, d’utiliser au profit de ses désirs l’enthousiasme unanime qu’inspire le nom du poète. Nous souhaitons à l’Allemagne de ne pas amoindrir par des préoccupations intéressées la grandeur du mouvement que nous venons de décrire. Que la fête de Schiller soit une occasion toute naturelle de réveiller au fond