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Anglais, ne connaissant personne dans cette immense Babylone, meurent faute de soins ! Je crois donc rester au-dessous de la vérité en supposant le nombre des indigens de Londres cinq fois plus considérable que celui des pauvres de Paris. Dans les campagnes, la différence est beaucoup moindre ; mais dans les districts manufacturiers elle reprend à peu près la même proportion.

En France, le célibat religieux et le célibat militaire modèrent le mouvement de la population ; nos ouvriers ont ainsi moins à souffrir de cette concurrence de la main-d’œuvre qui réduit les salaires à un taux insuffisant. En second lieu, nos institutions de bienfaisance religieuses et laïques, tout en ménageant chez les nécessiteux le sentiment de la dignité personnelle, nous dispensent de l’obligation de cette assistance légale qui fait des pauvres, parce qu’elle habitue le travailleur à compter sur d’autres ressources que celles de son énergie. Il faut aussi tenir compte de la division de la propriété territoriale, qui permet à un si grand nombre de paysans de posséder une habitation, un lopin de terre et une ou deux têtes de bétail, non pas grâce à cette aumône publique que conseillait Pitt, mais par droit d’héritage ou d’acquisition. Puis l’agriculture, dont vit la plus grande partie de nos populations, est exposée à moins de crises et de chômages que l’industrie, unique ressource de la plupart des prolétaires d’outre-Manche. Enfin, et pour ne pas tout énumérer ici, il y a dans nos classes ouvrières moins d’intempérance et moins de besoins. Nous avons donc, pour plusieurs raisons, beaucoup moins d’indigens que la Grande-Bretagne, et surtout moins de ces dénûmens absolus qui jettent la nuit dans les rues tant d’individus sans pain et sans gîte. Rien ne ressemble chez nous au casual ward ni à ses hôtes habituels, rien de comparable à ces affreux taudis des grandes villes anglaises, où tant de créatures humaines, sans distinction d’âge ni de sexe, s’entassent dans la même chambre et sur le même grabat. La statistique de la prostitution est également en France loin d’atteindre les chiffres qu’elle présente en Angleterre. Il s’en faut néanmoins que notre situation ne puisse être améliorée ; et quand la France le voudra, elle réduira de plus de moitié le nombre de ses pauvres, sans recourir à de profondes combinaisons ni à de coûteux sacrifices ; il lui suffira de mettre en pratique l’idée la plus simple. Cette idée, la voici : rattacher l’action des sociétés de bienfaisance à celle des sociétés de secours mutuels, en consacrant une partie des fonds des premières à l’introduction des indigens dans les secondes.

L’homme qui peut satisfaire à ses besoins par son travail n’est pas indigent. Quelles sont, dans notre état social, les principales causes de l’indigence ? Ce sont la maladie, qui force l’ouvrier à contracter