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ne se décide à adopter un minimum de salaires, ce à quoi elle ne paraît nullement disposée. Il faudrait des grèves pour l’amener à cet acte de justice et d’humanité ; mais les grèves ne sont faites que par les artisans convenablement rémunérés, les ouvriers du bâtiment, dont les moins rétribués reçoivent 4 francs par jour. Quant aux pauvres ouvrières qui gagnent 10 ou 12 sous par un travail de seize heures, et qui par conséquent ne peuvent trouver dans la mutualité des armes contre une exploitation inhumaine, elles meurent de faim ou dans la prostitution. La réforme commerciale ne pouvait pas précisément diminuer le paupérisme, et si, comme nous l’avons dit au début de cette étude, les charges de ce service semblent parfois s’alléger d’une année à l’autre, cette amélioration apparente ne peut s’obtenir qu’au prix d’une interprétation contraire au droit réel des pauvres, tel que l’a constitué le statut de la quarante-troisième année du règne d’Elisabeth, toujours maintenu comme loi fondamentale, mais violé toutes les fois que les circonstances l’exigent. Cette condescendance à la loi de la nécessité n’est pas un fait rare et latent dont n’auraient à souffrir que peu d’individus. Dans les années de disette ou de crise commerciale, c’est par milliers qu’on repousse des workhouses des ouvriers mourant de faim, et qui retombent à la charge de la charité privée. En ce qui concerne l’inexécution des lois, il y a comme un compromis tacite entre le gouvernement et le peuple, qui semblent s’accorder réciproquement toute la latitude commandée par la force des choses, et cette grande élasticité dans les rapports du pouvoir et des gouvernés n’est peut-être pas une des causes les moins notables de la stabilité des institutions politiques de l’Angleterre.

Ce qui a surtout préservé ce pays d’une révolution sociale, c’est le développement extraordinaire qu’a pris l’émigration depuis l’année 1846. L’esprit d’entreprise et d’aventure, excité par la découverte récente des mines aurifères dans les colonies australiennes, a entraîné au-delà de l’Océan les enfans de la métropole à qui leur travail ne procurait qu’une existence plus ou moins précaire. Ce mouvement, qui n’a point cessé jusqu’à présent, s’effectue en partie au moyen d’arrangemens pris par des commissaires spéciaux pour le transport gratuit d’une certaine classe d’ouvriers indigens, en partie indépendamment de toute assistance officielle, de sorte que dans l’intervalle de 1846 à 1859 près de trois millions d’individus ont quitté le royaume-uni. Toutefois ce prodigieux écoulement d’une partie de la population, sans autre équivalent dans l’histoire que les migrations des barbares, n’a pas diminué la misère en Angleterre, parce que le plus grand nombre des émigrans sont des Irlandais, et qu’en Angleterre l’excédant des naissances sur les décès dépasse tous les ans le chiffre de l’émigration. Ainsi en 1852,