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son jardin des abeilles ; ses terres lui fournissaient son houblon, et il brassait lui-même sa bière. Alimens, vêtemens, constructions, éclairage, cordages, ferrures, tout ce dont il avait besoin se confectionnait chez lui, et nulle tâche n’y était réservée aux prolétaires errans. Il fallut bien cependant que les législateurs reconnussent la nécessité de pourvoir à la subsistance de cette multitude qui ne voulait ou ne pouvait pas vivre de travail, et qui, malgré tous les supplices, aimait toujours mieux mendier ou voler que de mourir de faim. Un statut de 1551-52 institua deux collecteurs dans chaque paroisse, au choix annuel des maires, des curés et des marguilliers, pour recueillir et distribuer des aumônes. Cet acte, sans rendre encore l’assistance légalement obligatoire, tendait cependant à l’assurer par une sorte de contrainte morale. Quand un habitant refusait obstinément l’aumône, le curé et les marguilliers devaient l’y exhorter avec douceur, et s’il persistait dans son refus, l’évêque l’envoyait chercher pour le ramener par la persuasion au devoir de la charité. Les exhortations pastorales se trouvèrent néanmoins impuissantes. Que faire ? On ne pouvait forcer au travail les mendians valides qu’à la condition de secourir ceux qui étaient devenus incapables de travailler et ceux qui ne trouvaient pas d’ouvrage. L’abandon des malheureux pouvait susciter de nouvelles rébellions, et on n’avait plus de chevalerie à leur opposer. Fallait-il multiplier les stocks et les gibets ? On avait reconnu l’inefficacité de ce régime de terreur, qui dépeuplait le royaume sans diminuer le nombre des malfaiteurs et des mendians. Sous la pression d’une urgente nécessité, on inscrivit enfin dans la loi le droit à l’assistance. Quand après les exhortations successives des marguilliers, du pasteur et de l’évêque, un contribuable opiniâtre refusait l’aumône hebdomadaire proportionnée à ses ressources personnelles, l’évêque dut le contraindre, sous peine d’une amende de 10 livres, à comparaître aux prochaines assises pour y être exhorté par les juges à l’accomplissement de la loi. Les voies de la persuasion se trouvaient-elles encore insuffisantes, les juges avaient à fixer la somme, et si le récalcitrant persistait dans son refus, il devait être écroué jusqu’à parfait paiement de la taxe et des arrérages. On n’en venait à la contrainte par corps qu’après de longues formalités ; mais la législature sanctionnait pour la première fois un principe qui n’a depuis jamais été effacé du code anglais, le droit légal du pauvre sur une part de la fortune de quiconque jouit d’un certain revenu. On va voir ce qu’il en coûta à l’Angleterre pour mettre ce principe en pratique et avec quelles restrictions elle a dû l’appliquer pour ne pas en périr.

Un gouvernement qui imposait aux citoyens l’obligation d’entretenir