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était assise tout à côté de lui, le lien cher et étroit que j’ai songé à contracter avec cette amie. Je n’aurais pas été digne de serrer ces nœuds, si je n’avais senti dans mon cœur le véritable amour d’un époux tel que nous le montre le Nouveau-Testament, d’un époux « qui aime sa femme comme le Christ a aimé son église, lui qui a donné sa vie pour elle. » En cas de danger pour cette chère âme, je me savais prêt à me sacrifier pour elle ; autrement je n’aurais jamais été digne de l’honneur qu’elle m’a fait. Je tiens que, quand il y a une croix ou un fardeau à porter par l’un des époux, l’homme, qui est fait à l’image de Dieu quant à la force et au pouvoir de souffrir, doit le placer sur ses épaules et non sur les épaules de celle qui est plus faible que lui, car s’il est fort, ce n’est pas pour tyranniser celle qui est faible, mais au contraire pour porter son fardeau comme le Christ a fait pour son église. J’ai découvert, ajouta-t-il en jetant un regard plein de bonté sur Mary, qu’il y a une croix et un fardeau pénible qui doivent peser sur cette chère enfant ou sur moi, sans qu’il y ait eu faute de notre part, mais par la sainte volonté de Dieu : que ce fardeau tombe sur moi ! Mary, ma chère enfant, reprit-il, je serai pour toi comme un père ; mais je ne contraindrai point ton cœur.

« À ce moment, Mary, par un mouvement soudain et irrésistible, lui jeta ses bras autour du cou, l’embrassa, et, s’appuyant en sanglotant sur son épaule : — Non, non, dit-elle, je vous épouserai comme je l’ai promis.

« — Le pourrez-vous, si je ne le veux pas, chère enfant ? répondit-il avec un bon sourire. Approche, jeune homme, dit-il à James d’un ton d’autorité. Je te donne cette jeune fille pour femme. Et détachant de son épaule la main de Mary, il poussa doucement la jeune fille dans les bras de James, qui, accablé d’émotion, la serra silencieusement contre son sein.

« — Allons, mes enfans, reprit le docteur, voilà qui est fait. Que Dieu vous bénisse ! Jeune homme, emmène-la, elle sera plus calme tout à l’heure.

« Avant de sortir, James saisit la main du docteur en lui disant : — Voilà qui parle plus haut à mon cœur que tous les sermons ; je ne l’oublierai jamais. Que Dieu vous bénisse !

« Le docteur les regarda quitter lentement l’appartement, et les conduisit jusqu’à la porte qu’il referma, et ainsi finirent les fiançailles du docteur. »


Le docteur a le beau rôle, et cependant tout le monde est satisfait. Le roman aurait dû en rester là. Le docteur était sacrifié, mais il était trop juste qu’il eût sa part de souffrance, comme Mary avait eu la sienne : on se serait représenté l’homme de Dieu luttant longtemps contre son propre cœur avant de retrouver le calme et la sérénité du passé ; s’il disparaissait de la scène, c’était avec la palme du martyre. Mme Stowe, avec un raffinement de cruauté féminine, a voulu dépouiller le bon docteur de son auréole : dans deux chapitres supplémentaires, qui sont un excès de barbarie et qui sont une faute de goût, puisqu’ils détruisent l’équilibre moral entre les personnages, elle nous montre le docteur officiant lui-même aux noces de son rival avec la plus parfaite tranquillité, puis bientôt marié à son tour, et enfin père d’une nombreuse lignée. Le moyen