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soit incombustible, invulnérable et insubmersible. James reparaît donc tout à coup. Pourquoi n’a-t-il point donné de ses nouvelles ? Pourquoi est-il allé en Chine au lieu de revenir en Amérique ? Pourquoi du moins n’a-t-il pas écrit ? Demandez-le à l’auteur. Enfin le voici de retour, et il revendique hautement ses droits. Une discussion en règle s’engage alors entre tous les personnages, les argumens pour et contre s’échangent de part et d’autre comme dans un débat théologique. Les argumens de pur sentiment sont les premiers mis hors de cause ; le devoir seul doit décider. — Si vous épousez le docteur, dit-on à Mary, la présence de James serait un danger pour vous et pour lui. Il faut donc qu’il s’expatrie à jamais. Avez-vous le droit d’imposer au pauvre garçon et à sa famille un pareil sacrifice ? — Mary est ébranlée, mais elle a une réponse victorieuse : — Si James était revenu huit jours plus tard, il aurait trouvé le mariage accompli. J’ai donné ma parole, je suis engagée irrévocablement, et je dois me considérer comme déjà mariée. — Elle fait donc le sacrifice complet ; elle déclare à sa mère ravie qu’elle tiendra sa promesse. Elle ne veut même pas que la question soit soumise au docteur, de peur que celui-ci, par générosité, ne renonce à des droits dont elle-même reconnaît l’inviolabilité. Le pauvre James est-il irrévocablement condamné ?

Un romancier n’aurait pas manqué de sceller son arrêt. Si Mary épouse le docteur, le triomphe du devoir sur l’amour, de l’élément religieux sur l’élément romanesque, est complet. Et quelle bonne fortune pour un écrivain que d’avoir à montrer Mary rassemblant ses forces pour aller, calme et tranquille, à l’autel, accomplissant jusqu’au bout la tâche qu’elle s’est imposée, puis, quand elle n’est plus soutenue par l’exaltation du sacrifice, s’affaissant peu à peu ! Elle aurait renoncé à lutter contre une plaie inguérissable ; le dépérissement l’aurait prise, et nous l’aurions vue s’acheminer lentement vers la tombe, martyre du devoir et de la piété filiale. Que de larmes un pareil dévouement aurait arrachées aux âmes sensibles ! Une femme ne pouvait avoir le courage de sacrifier délibérément une si charmante héroïne. Avez-vous pu croire d’ailleurs que Candace laisserait consommer le malheur de James ? Elle s’empare de la couturière, elle l’exalte par ses reproches et ses exhortations ; miss Prissy prend son courage à deux mains, entre dans la chambre du docteur, et, à mots entrecoupés, le met au courant de ce qui arrive. Le docteur passe la nuit en prières, et le lendemain matin il convoque mistress Scudder, Mary et James dans son cabinet.


« Le docteur était assis à sa table, et sa grande Bible favorite était ouverte devant lui. Il se leva, et leur fit à tous un accueil à la fois affectueux et grave. Il y eut une pause de quelques minutes, pendant laquelle il tint sa tête entre ses mains. — Vous savez tous, dit-il en se tournant vers Mary, qui