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avec sa mère, et il la suivait des yeux comme un amant partout où elle allait. Il fit à son père les excuses convenables, tout en annonçant sa ferme résolution de s’en tenir à la profession qu’il avait choisie, et il distribua à tous les membres de la famille les présens qu’il avait rapportés pour eux des pays lointains. »


On devine de quel œil une mère pieuse, une femme régulière et méthodique comme mistress Scudder, voit cet étourdi, ce rebelle à l’autorité paternelle, ce caractère volontaire et indiscipliné. Aussi n’a-t-elle rien épargné pour prémunir sa fille contre les dangers d’une liaison inévitable, mais périlleuse. Hélas ! le remède n’est-il pas pire que le mal ? « Nous savons tous ce qui arrive quand on avertit constamment les jeunes filles de ne point penser à un homme. Mary, la plus consciencieuse et la plus obéissante petite personne qui fut au monde, résolut de bien veiller sur elle-même. Elle ne penserait jamais à James, excepté, bien entendu, dans ses prières ; mais comme elle priait constamment, il lui était malaisé de l’oublier. Tout ce qu’on lui répétait de l’insouciance de James, de sa légèreté, de son dédain des opinions orthodoxes, de ses façons hardies et singulières de s’exprimer, ne faisait que graver son nom plus profondément dans son cœur, car James n’était-il pas en danger de son âme ? Pouvait-elle voir cette loyale et joyeuse figure, entendre ce rire si franc, et penser qu’une chute du haut d’un mât ou une tempête pouvait… Ah ! de quelles images affreuses la foi remplissait sa pensée ! Pouvait-elle croire tout cela et oublier ce pauvre James ? » Peu à peu l’amour grandit dans ce jeune cœur, l’amour tel que le comprend et le définit Mme Stowe, l’amour qui n’est que la poursuite de l’idéal dans autrui. « Ce que Mary aimait si passionnément, ce qui venait se placer entre elle et Dieu dans chacune de ses prières, ce n’était pas le marin jeune, gai, entreprenant, prompt à la colère, imprudent en paroles, généreux de cœur, mais mondain dans ses projets et ses désirs : c’était l’idéal qu’elle se créait d’un homme noble et grand, tel qu’il pouvait être un jour, à ce qu’elle pensait. Il lui apparaissait glorifié, devenu un modèle de la force qui dompte la matière, de l’autorité qui commande aux hommes et aux circonstances, du courage qui dédaigne la crainte, de l’honneur qui ne saurait mentir, de la constance qui ne connaît aucune défaillance, de la tendresse qui protège le faible, de la loyauté religieuse qui dépose aux pieds de son souverain Seigneur et Rédempteur le trésor d’une virilité parfaite. Tel était l’homme qu’elle aimait ; c’est de ce royal manteau de toutes les perfections qu’elle revêtait l’individu nommé James Marvyn, et tout ce qu’elle voyait, tout ce qu’elle savait lui manquer, elle le demandait à Dieu pour lui avec la ferveur d’une femme croyante. »

Mistress Scudder n’a point encore lu dans le cœur de sa fille. Cependant