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introduisit le hazan, ou chantre de la synagogue, avec ses deux aides, ténor et basse, chargés de l’accompagner[1]. Le chantre entonna un hymne de bénédictions en l’honneur du couple futur. Ce fut le signal d’un petit concert où l’instituteur, M. Baer, joua bientôt le principal rôle. On le pria de faire entendre quelques-unes des anciennes chansons populaires de l’Alsace juive. Sans trop se faire prier, M. Baer commença un de ces chants dont la mélodie plaintive et grave est si caractéristique. Ce fut d’abord l’histoire de la création, suivie de celle du péché de nos premiers pères. « Quand Dieu créa le monde, tout était nuit et ténèbres ; pas de soleil, pas de lune, pas d’étoiles. » Et un peu plus loin : « Le rusé serpent se glissa auprès d’Eve, et, en termes mystérieux : Vous êtes tous deux, Adam et toi, bien à plaindre, puisque ce fruit (la pomme) vous est défendu ! La pomme, je vous le dis, possède une vertu suprême : quiconque en goûte sera doué d’une force divine. Croyez-moi, mangez-en. » Vint ensuite la chanson dite kalé-lied (chant de la fiancée) et où l’on retrace ses devoirs à la future épouse. Sous les humbles dehors de cette poésie, qui, comme tout le reste, n’est que de la prose allemande rimée, se cache une morale profonde. Je n’ai jamais pu entendre sans émotion l’air tendre et triste qui accompagne ces paroles :


« Oyez, mes bonnes gens, comment doivent se pratiquer les choses en Israël. Jeune fille, toute sage que tu as été, tu peux avoir commis bien des erreurs. Aussi, en te rendant sous la houpé (dais nuptial), dois-tu te lamenter, pleurer et demander pardon à ton père et à ta mère. Fais l’aumône en tout temps, car Dieu est l’ami des nécessiteux. Un pauvre vient-il à frapper à ta porte, ouvre-lui et soulage sa misère. Dieu t’en récompensera : tu seras riche et heureuse, et tu enfanteras sans douleur. »


Le dernier de ces chants populaires de l’Alsace israélite que nous fit entendre l’instituteur était le célèbre chant de Moïse le Prophète.


« Qui donc, dans l’univers entier, peut être comparé à Moschè (Moïse) ? L’Éternel s’est entretenu avec lui devant sa tente, et Moselle le vit dans toute sa gloire… Le moment de mourir était venu ; mais Moschè demanda à accompagner son peuple dans la terre promise. Dieu n’y consentit pas. Et Moschè se mit à pleurer du fond de son cœur. Dieu, appelant alors le malech hamovess (ange de la mort) : « Va, lui dit-il, descends sur la terre et cherche-moi l’âme de Moschè, fils d’Amram. » Et le malech hamovess s’élança du haut

  1. Ces trois personnages forment l’orchestre vocal de la synagogue. Le hazan est un fonctionnaire assez important et bien rétribué. Les aides chanteurs n’ont que de maigres émolumens, mais ils peuvent exercer diverses industries, et on les voit souvent foire concurrence au barbier ou à l’instituteur de l’endroit.