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avec bruit, et répandent je ne sais quel sauvage parfum qui fait penser à l’Orient.

L’après-midi du premier jour de fête, nous fîmes, selon l’usage, nos visites. Aron me conduisit tout d’abord à la soucca du père Nadel, qui était vraiment une soucca modèle. Sur chaque paroi était inscrit en caractères hébraïques formés avec des fleurs blanches et roses ce verset de la Bible relatif à la fête : « Vous demeurerez sept jours sous des cabanes. » À l’intérieur de la tente, le père Nadel trônait majestueusement entre sa femme et sa fille. Dès que nous entrâmes : — Messieurs, asseyez-vous, s’écria-t-il. Nous avons ici de la place pour tout le monde. Débora, des verres, des biscuits, du vin pour ces messieurs ! — Je regardai la jeune fille, qui nous servait avec une gracieuse et avenante prestesse. Éphraïm Schwab avait raison : c’était un beau brin de fille que Débora. Quels yeux, quel teint éblouissant, mais surtout quels cheveux ! C’était la chevelure juive dans sa luxuriante beauté. Malgré les dents d’un peigne énorme qui la mordaient fortement, cette chevelure menaçait à chaque instant de s’en échapper et de se dérouler.

— Fradel, dit le père Salomon à sa femme en me désignant, c’est le monsieur dont je t’ai parlé, c’est un ami de la famille Salomon.

Débora rougit légèrement.

— A votre santé ! messieurs. C’est aujourd’hui iontof (fête). Goûtez-moi de ce vin rouge. Ce n’est pas encore de mon meilleur. Pas vrai, Fradel ? pas vrai, Débora ? J’ai un certain vin de paille avec lequel vous ferez connaissance…

— Après-demain peut-être, acheva malicieusement Aron.

— Hé ! hé ! fit Nadel d’un air important.

— Tais-toi donc, interrompit la maîtresse de la maison ; est-ce qu’on peut savoir ? On a vu…

— Allons donc ! reprit Aron ; après-demain, c’est moi qui vous-le dis, nous casserons la tasse.

Débora souriait maintenant.

La conversation fut soudain interrompue par l’arrivée d’un flot de visiteurs endimanchés. Nous cédâmes la place aux nouveau-venus pour continuer notre tournée selon la coutume du iontof.

Le premier jour de halamoëd (demi-fête) était arrivé. C’est ce jour-là même que mon ami Schémelé était attendu chez Aron. La journée était belle. Un bon soleil d’automne brillait à l’horizon. Le village était animé. Des voitures arrivaient et partaient chargées de monde. C’étaient, comme on dit dans le pays, des gens de halamoëd allant les uns faire des parties dans des villages voisins, d’autres venant visiter Hegenheim. Des groupes désœuvrés se promenaient