Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

approvisionner les marchés des hameaux. L’ornementation du plafond de la hutte repose sur des traditions invariables. Des chaînes de papier bleu et jaune sont suspendues en guise de draperies à côté de branches d’églantiers avec leurs baies rouges, qui se détachent agréablement sur la verdure. On fixe au treillis tous les fruits de la saison, poires, pommes, raisins, noix. Enfin, non loin de la porte, se balance majestueusement, — indispensable, mais infaillible préservatif contre toute influence malfaisante, — un glorieux oignon rouge piqué, en guise d’ornement, de plumes de coq. Aucun esprit malin, quelque malin qu’il fût, de mémoire d’Israélite en Alsace, n’a pu, soit le jour, soit la nuit, pénétrer dans une soucca pourvue du précieux tubercule. Au centre du plafond, à la même distance du treillis que les autres ornemens, un triangle en baguettes dorées figure la forme classique du bouclier de David (mogan Doved), et dans ce triangle passe l’allonge dentelée qui soutient la lampe à sept becs. Quelquefois la pluie survient ; mais on a pourvu à tout, et des battans de porte sont tout prêts pour servir de toit au frôle édifice. Alors même on se serre plus joyeusement dans la tente improvisée que le sapin parfume de son odeur pénétrante, et c’est un plaisir que d’écouter le soir la pluie tomber sur les verts feuillages, parure et abri de la soucca, tandis que la lampe répand sa clarté vacillante sur une table servie avec l’abondance alsacienne.

C’est chez mon hôte d’Hegenheim, on s’en souvient aussi, que le fils du père Salomon, le beau Schémelé, était attendu comme moi pour l’époque des cabanes, et on sait que la fête religieuse n’était pas le seul motif de ce voyage. Il s’agissait de donner suite à une négociation de mariage commencée par le schadschen Éphraïm Schwab. Schémelé et Débora, la fille du riche Nadel, allaient se voir pour la première fois, et, s’ils s’aimaient, je pouvais compter sur le curieux spectacle d’une cérémonie des fiançailles accomplie selon l’étiquette traditionnelle des Israélites de l’Alsace.

La solennité religieuse que ramènent chaque année les tabernacles a dans la synagogue le caractère rustique qu’on retrouve dans les joyeuses réunions de famille au milieu des soucca. On se rend à la synagogue dès le matin. Les fidèles portent dans la main gauche un petit panier ou une boîte dorée contenant un cédrat, dans la main droite une longue branche de palmier (loulef) à laquelle est attaché un bouquet de myrte. Tout cela doit rappeler le côté pastoral de la fête. Il y a dans la cérémonie un moment caractéristique, celui où, répondant par un hosannah solennel au chantre qui proclame la bonté divine, toute l’assistance fait le tour de la synagogue en agitant les branches de palmier qui s’entre-choquent