Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des iniquités de tous et l’envoyait au désert. Le grand-prêtre rentrait ensuite dans le saint des saints et implorait le pardon de Dieu pour le peuple agenouillé dans l’enceinte du temple. Tel était l’ancien kippour. La cérémonie qui garde ce nom dans l’Israël moderne n’a rien perdu de sa majesté primitive ; ce jour est resté pour les populations juives austère, religieux, solennel entre tous[1]. Dans cet humble village de Wintzenheim, il n’était pas de maison où l’on ne s’y préparât pieusement. Les villageois que leurs affaires retenaient d’ordinaire dans les montagnes ou dans la vallée voisine de Munster étaient revenus pour unir leurs prières à celles de leur famille. Étrange spectacle que celui de cette influence persistante des vieilles traditions sur une race que l’on croit vouée exclusivement au culte des intérêts matériels !

Dès la veille du kippour a lieu dans chaque ménage la cérémonie de la kapora. Une table sans nappe ni tapis est dressée au milieu de la pièce principale du logis. Sur cette table est un rituel, ouvert à un certain passage marqué d’avance. Des coqs et des poules gisent garrottés sur le plancher. Le chef de la famille s’avance, il délie les pattes d’un des coqs, le prend à la main, et lit dans le rituel la prière qui a traita la cérémonie. Arrivé à un certain endroit de la prière, il soulève le coq, lui fait décrire trois cercles autour de sa tête et répète à haute voix : « Sois mon rachat pour ce qui doit venir sur moi. Ce coq pour racheter mes péchés va s’en aller à la mort. » Tous les assistans en font autant à tour de rôle. Les poules sont réservées aux femmes, les coqs représentent la rançon des hommes. Une fois la kapora terminée (et on a pu y reconnaître un souvenir manifeste du bouc émissaire de l’ancienne Jérusalem), on envoie coqs et poules chez le ministre officiant, qui seul a qualité pour les tuer selon le rit, c’est-à-dire en leur coupant la trachée-artère.

On lit dans le Deutéronome : « Si le méchant a mérité d’être battu, le juge le fera jeter par terre et battre devant soi par un certain nombre, de coups, selon l’exigence de son crime. Il le fera donc battre de quarante coups. » La veille du kippour, cette prescription du Deutéronome reçoit une application symbolique. Les hommes seuls, sans habits de fête, se rendent à la synagogue vers une heure de l’après-midi. Après avoir récité une prière, les assistans se placent deux à deux ; l’un se couche par terre, l’autre, debout et tenant à la main une lanière de cuir, l’en frappe légèrement. À chaque coup de lanière qu’il reçoit, l’homme couché se frappe la

  1. Même à Paris, cette fête est célébrée avec un recueillement particulier. Une famille juive qui occupe une des plus hautes positions financières de l’Europe est connue par son zèle à pratiquer dans toute leur austérité les exercices du kippor.