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plusieurs fois jusqu’à ce que vingt-neuf sons soient sortis du schophar. Quand le dernier son a retenti, on reporte en chantant le rouleau sacré dans l’arche sainte. Un nouveau service commence. Le chantre, tantôt seul, tantôt accompagné de la voix, de tous les assistans, rappelle l’origine et le but de « cette sainte journée de convocation. » Aujourd’hui donc l’univers entier comparaît devant Dieu ; aujourd’hui il sera décidé « qui sera heureux, qui ne le sera point, qui aura la guerre, qui aura la paix. » Dieu sera bon et clément pour son peuple en souvenir des patriarches, en souvenir de lui-même et de tout ce qu’il a fait pour son peuple depuis sa sortie d’Égypte jusqu’à son arrivée dans la terre de Chanaan ! Et à un moment donné on se prosterne la face contre terre pour implorer la clémence du Très-Haut. Viennent ensuite le triple Sanctus et l’Hosannah traditionnel dit la Kedouscha (sanctification), précédés d’un admirable et célèbre morceau composé, dit-on, et improvisé par le martyr rabbi Amnon de Mayence[1] :


« Je proclame la grande sainteté de ce jour, jour redoutable, terrible, solennel. Ton autorité, Seigneur, s’affermira en ce jour ; c’est que tu es juge et en même temps accusateur et témoin. Tu prends acte de nos actions, tu les enregistres et tu y apposes ton sceau. Tu te souviens de toutes nos actions, et quand la grande trompette du jugement retentit, les anges eux-mêmes frémissent d’une indicible terreur, car devant ta pureté suprême eux-mêmes ne seront pas trouvés innocens. L’univers entier passe sous ton regard, comme les troupeaux sous les regards du berger. Au jour du rosck haschonnah tu décides et au jour du kippour tu arrêtes irrévocablement les destinées d’un chacun ; mais la pénitence, la prière et la charité effacent l’arrêt fatal. Ta colère est lente à s’allumer et prompte à s’adoucir. Tu ne

  1. le rabbi Amnon vivait dans le XIe siècle à Mayence. Il est le héros d’une des plus touchantes légendes du martyrologe juif, si riche en douloureuses histoires du même genre. Le savant Amnon était reçu à la cour du prince-électeur de Mayence, qui le tenait en grande estime. Cette faveur lui devint funeste, car le prince lui offrit un jour de le nommer son premier conseiller à la condition qu’il abjurerait sa religion. Après avoir résisté pendant plusieurs mois aux instances les plus pressantes, Amnon finit par demander trois jours pour réfléchir ; mais aussitôt il se reprocha cette faiblesse, et, les trois jours passés, amené de force après de nouveaux refus devant le prince : « J’ai demandé, lui dit Amnon, un délai de trois jours ; c’est comme si j’avais renié mon Dieu. Je demande qu’on m’arrache la langue qui a proféré ces imprudentes paroles. Ainsi j’aurai moi-même prononcé mon jugement. » Le prince n’accepta point ce jugement ; la langue avait bien parlé, mais les pieds qui avaient refusé de marcher à son ordre devaient être coupés, et par un raffinement de cruauté le prince voulut qu’Amnon perdit aussi les bras. Cet affreux supplice laissa le rabbi presque mourant. Quelques jours après, à la l’été du rosch haschonnah, il se fit porter à la synagogue dans sa bière, ayant à côté de lui ses membres mutilés. Il arrêta le ministre au moment où il allait réciter le Sanctus, improvisa l’éloquente prière qu’on répète encore aujourd’hui dans tous les temples israélites, puis disparut, enlevé au ciel, où Dieu le fit asseoir parmi les justes.