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heures, il fut réveillé par le marteau de bois du schamess, qui l’appelait ainsi aux prières de selichoth. En sortant, il vit les clés du mikva suspendues comme d’habitude à sa porte.

Mais la dernière nuit du selichoth est passée. Alors commencent toute une série de fêtes d’un caractère profondément austère, et on me permettra de les décrire sans quitter la synagogue plutôt que d’insister sur les incidens assez ordinaires de mon séjour au sein d’une des familles les plus rigoristes de Wintzenheim. Le matin du rosch haschonnah est venu, et nous voilà dans le modeste temple du village. L’assistance est nombreuse et recueillie. Au milieu d’un profond silence, le ministre officiant ouvre les portes de l’arche sainte, et il en tire la thora (rouleau sacré de la loi). Après avoir fait entendre le chant accoutumé de glorification, il porte le rouleau sacré sur l’estrade placée au milieu de la synagogue, et déroule la thora. Le peuple écoute, et le chantre, sur une antique et mélancolique mélopée, se met à réciter, dans le texte hébreu, l’histoire de la vocation d’Abraham et du sacrifice d’Isaac, qui eut lieu à pareil jour. Israël rappelle à Dieu que par ce sacrifice il conclut avec lui une éternelle alliance, et c’est cet impérissable souvenir qui l’encourage à implorer de lui grâce et secours.

La lecture terminée, le talmudiste qui doit faire retentir le schophar[1], le pieux rebb[2] Koschel, qui remplit ces fonctions à Wintzenheim depuis quarante ans, s’avance gravement sur l’estrade où l’attend le rabbin. Tous les deux s’enveloppent la tête du voile de soie en usage dans les prières, et qu’on nomme taleth. Après une courte prière, rebb Koschel tire le schophar de son étui de toile blanche. « Sois loué, Seigneur notre Dieu ! dit-il. Sois loué, roi de l’univers qui nous as sanctifiés par tes commandemens et qui nous as ordonné de sonner du schophar ! » Ces mots annoncent que la trompette sacrée va retentir, et tous les regards se baissent aussitôt, car nul ne doit voir celui qui sonne du schophar. Rebb Koschel porte à sa bouche la corne de bélier, attendant les ordres du rabbin. — Téquiô (son de trompette) ! crie celui-ci, et un son tout métallique répond à cet ordre. — Schevorim (brisemens), et il sort du schophar comme une plainte entrecoupée, — téroua (retentissement), et le son tremble et se précipite. Chacun de ces ordres est exécuté

  1. Trompette courbe, longue d’un pied et demi, faite expressément de la corne d’un bélier, en mémoire du bélier immolé à la place d’Isaac. Les Israélites se servaient du schophar dans toutes leurs cérémonies religieuses et militaires. C’est au son du schophar que s’écroulèrent les murailles de Jéricho, c’est encore au son du schophar que Dieu, après la consommation des siècles, doit rappeler les fidèles du fond de leurs tombeaux et les ramener à Jérusalem.
  2. Corruption de rabbi.