Dans la rue, que je traversai rapidement, je remarquai un premier signe de la fête. Des enfans parcouraient le village, un panier rempli de bouteilles au bras : c’étaient les enfans des riches balbatim (bourgeois) qui allaient porter, de la part de leurs parens, du vin du meilleur cru au rabbin, aux pauvres talmudistes[1], au ministre officiant, à l’instituteur, au schamess (bedeau), etc. Ne faut-il pas en effet que tout le monde célèbre dignement et gaiement la pâque ? Cependant le père Salomon m’avait aperçu ; il venait à ma rencontre. Nous échangeâmes le salut classique : Salem alechem (que la paix soit avec vous) ! — Alechem salem (que la paix soit également avec vous) ! Je fus bientôt entouré de toute la famille. La femme de mon hôte, la bonne Iédélé, ses filles et ses fils m’accueillirent avec leur cordialité habituelle. Quelques mots suffirent pour me mettre au fait des petits changemens qui s’étaient accomplis depuis mon premier séjour à Bolwiller dans ce tranquille intérieur. Le père Salomon s’était retiré des affaires. L’aîné de ses fils lui avait succédé et se trouvait maintenant à la tête du petit négoce paternel ; c’était Schémelé qui faisait les achats et les ventes, traitait avec les chalands, et, à ce qu’il paraît, contentait tout le monde. Gentil et preste, il était, me dit sa mère, aimé et estimé de tous à Bolwiller comme dans les villages voisins. Aussi, quoique âgé de vingt-trois ans seulement, était-il devenu depuis quelque temps le point de mire de plus d’une famille, et déjà plus d’un schadschen (agent matrimonial) s’était adressé au père Salomon.
L’avouerai-je cependant ? le principal objet de ma préoccupation, ce n’était point la destinée de ces braves gens : j’étais venu pour assister à la célébration de la pâque selon les vieux rites. Aussi ne fut-ce pas sans émotion que j’entendis retentir les trois coups du schuleklopfer[2], qui interrompaient notre conversation pour nous appeler à la prière. Nous nous rendîmes tous à la synagogue, splendidement illuminée, et l’office terminé, chaque famille regagna gaiement son foyer : le moment était venu de procéder au séder, c’est-à-dire à la cérémonie la plus caractéristique de la fête, et qui mérite à ce titre d’être fidèlement décrite.
La salle à manger de mon hôte était éclairée par la lampe à sept becs. La table était dressée comme si l’on allait dîner. Elle était couverte d’une nappe blanche. Il y avait des assiettes, mais pas de
- ↑ Les talmudistes dont de modestes érudits qui ont fait une étude particulière du Talmud, et conquis ainsi le droit d’exercer toute sorte de pieuses industries. Certaines familles aisées par exemple les chargent moyennant salaire de la récitation de certaines prières, de l’éducation religieuse des enfans, etc.
- ↑ Frappeur à la synagogue. C’est d’ordinaire le schamess (bedeau) qui convoque les fidèles à l’office on frappant aux portes avec un marteau de bois.