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les Alpes et a complètement quitté les Pyrénées, où on le chassait au XVe siècle ; la panthère, qui ravageait l’Asie-Mineure à l’époque des Romains, a fui bien loin ; le lion, si redouté des anciens peuples de l’Assyrie, n’appartient plus au bassin de l’Euphrate. C’est l’homme qui a été la principale cause de la disparition de ces animaux ; il a détruit les uns, il a contraint les autres à s’éloigner ; il détruira encore bien des espèces sauvages, car l’homme civilisé anéantit ce qu’il ne peut s’assimiler ; il en agit avec les bêtes fauves comme avec les races barbares, qu’il extermine quand il ne parvient pas à les soumettre à son genre de vie.

Puisqu’il en est ainsi, on peut supposer que diverses espèces éteintes ont jadis vécu avec la nôtre, et l’on ne doit pas s’étonner si l’on rencontre les ossemens de l’homme ou les ouvrages de ses mains associés à des fossiles de mammifères qui n’existent plus. Les mastodontes, dont une espèce, le mastodonte de l’Ohio, habitait l’Amérique à la période quaternaire, avec deux espèces d’éléphant, ont pu être contemporains des premières tribus qui peuplèrent le Nouveau-Monde. Ces animaux étaient singulièrement nombreux, car à Big-Bone-Lick, dans le Kentucky, on a découvert les restes d’une centaine de mastodontes et d’une vingtaine de mammouths [elephas primigenius americanus) unis à d’autres fossiles, ceux du mégalonyx, du cerf, du cheval et du bison. Si l’on en croit les traditions des Indiens Shawnis, ces gigantesques pachydermes fréquentaient jadis leurs forêts, et ils ont été anéantis par la colère céleste. De même en Sibérie, l’elephas primigenius et le rhinocéros tichorhinus ont pu vivre en même temps que l’homme. Le bubale de Sibérie, qui ne se trouve plus qu’à l’état fossile, rappelle beaucoup le bubale cafre, qui vit encore au Cap ; il est presque le même que le bubalus moschalus ou bœuf musqué qu’on a rencontré vivant dans des contrées fort boréales, l’île Melville et l’île Baring. Telle est l’opinion de M. Owen, l’un des plus éminens représentans en Angleterre de la science fondée par Cuvier.

Des découvertes toutes récentes viennent apporter à ces conjectures un commencement de preuve. Aux environs d’Amiens et d’Abbeville, on a trouvé dans le terrain quaternaire des haches en silex, taillées évidemment par l’homme. M. Boucher de Perthes avait déjà plusieurs fois signalé l’existence de silex travaillés dans ce que l’on appelait le diluvium ; ces vestiges de l’industrie humaine se trouvent associés à des débris d’elephas primigenius, de rhinocéros tichorhinus, de bos priscus et d’hippopotame. La réalité de ces gisemens de silex ne saurait plus être contestée. Plusieurs des géologistes de l’Angleterre, notamment M. Joseph Prestwich, M. Falconer, sir Charles Lyell, se sont rendus en Picardie pour vérifier le fait, et ils