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populations de l’Europe, l’une tropicale, l’autre subarctique, ont dû se trouver pendant quelque temps dans des contrées limitrophes. La partie du monde que nous habitons était soumise à des températures extrêmes qui permettaient à des individus de faunes fort diverses de vivre les uns près des autres. On rencontre souvent dans les dépôts quaternaires les restes d’animaux des tropiques associés à ceux d’animaux propres aux pays du nord. Le dépôt fluviatile de Grays en Angleterre a fourni des débris d’un hippopotame et d’un singe macaque qui ont dû exister sur les bords de la Tamise, à une époque où un refroidissement intense de l’hémisphère boréal avait déjà contraint les coquilles marines arctiques de s’avancer jusque dans les mers de l’Europe centrale. Plus tard, après la première phase glaciaire, le bœuf musqué, le lemming, le renne, espèces redevenues exclusivement subarctiques, ont pu se trouver dans le centre de l’Europe avec l’éléphant et le rhinocéros d’Afrique. Peut-être aussi, à raison des conditions où ils étaient placés, ces animaux subissaient-ils dans leur pelage et leur appareil cutané des modifications qui les rendaient propres à supporter des variations considérables de température. Il existe une telle harmonie entre le climat et l’organisation des êtres animés, qu’en vertu d’une action inconnue l’individu acclimaté finit par acquérir des caractères et un instinct appropriés à sa nouvelle patrie. L’animal change de robe avec les saisons. Transporté dans des climats froids, le bœuf apprend à gratter la neige pour y découvrir l’herbe nécessaire à sa nourriture. Les chauves-souris venues des contrées chaudes échappent par l’hibernation à la rigueur des hivers sous la zone tempérée. Sans doute, il ne faut pas que ces changemens soient trop brusques, ou que les conditions nouvelles deviennent trop différentes de celles que l’animal rencontrait sous un autre ciel ; mais entre certaines limites son organisation et ses habitudes sont susceptibles de se modeler sur le pays et le climat.

On voit donc que notre faune européenne actuelle est un mélange des faunes antérieures, et le contre-coup des déplacemens qui se sont opérés. De nouveaux déplacemens se préparent, car les choses se passent encore à peu près de nos jours comme elles se sont passées il y a des myriades d’années. Des espèces se sont éteintes ou ont abandonné leur ancien habitat presque sous nos yeux. Le dodo, cet oiseau bizarre des îles Mascareignes, n’existe plus depuis quelques siècles ; l’urus, qui errait encore dans les forêts de la Germanie au temps de César, a disparu à mesure que ces forêts se sont éclaircies ; l’élan, décrit par les anciens, n’habite plus l’Europe moyenne ; on chercherait vainement le castor en France et en Angleterre, dont il fréquentait jadis les cours d’eau ; le lynx est presque inconnu dans