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maritime. L’inscription maritime, on le sait, comprend les marins des classes, c’est-à-dire inscrits sur des registres où figure toute la population qui vit des industries de la mer, matelots au commerce, caboteurs, pêcheurs, y compris les ouvriers, tels que charpentiers et calfats, dont les travaux se rattachent au matériel naviguant. Le recrutement comprend une partie minime du contingent annuel que la loi appelle au service militaire, et qui, au lieu d’entrer dans l’armée de terre, est affectée à l’armée de mer. Entre les deux origines, il y a cette différence que pendant que les hommes du recrutement ne doivent à l’état que le service ordinaire de sept années, les hommes des classes peuvent y être astreints jusqu’à la cinquantaine, sinon d’une manière continue, du moins par des appels successifs et des périodes de trois ans. Ce régime des classes, que les habitudes et la tradition ont consacré, est, on peut le dire, la clé de voûte de notre établissement maritime, et tout onéreux qu’il soit, et quoiqu’il blesse ce sentiment d’égalité qui exerce chez nous tant d’empire, peut-être serait-il imprudent et dangereux d’y renoncer. Tout ce qu’il est permis de faire, c’est d’y apporter des ménagemens, et ces ménagemens sont de deux sortes : en premier lieu, il faut enlever de plus en plus à cette servitude son caractère presque indéfini, et en réduire l’effet à des périodes d’embarquement déterminées. On est entré dans cette voie, et il est rare qu’après deux campagnes de trois années et deux congédiemens on rappelle à bord des bâtimens de l’état les marins des classes. Cependant il n’y a là qu’une tolérance ; le droit de rappel n’en subsiste pas moins, et l’exercice en est quelquefois abusif. Les commissaires de quartier n’y apportent pas toujours le discernement désirable, et leurs actes ne relèvent pas d’un contrôle sérieux. Aussi les marins de notre littoral protestent-ils à leur manière : on en voit qui, pour échapper au service de l’état, restent en pays étranger et s’engagent au commerce sous des pavillons à leur convenance, d’autres qui changent de profession et émigrent à l’intérieur, où il est difficile de retrouver leurs traces. Pour contenir ces réfractaires, peut-être faudrait-il à l’institution des bases plus fixes et des règles moins incertaines ; dans tous les cas, elle a besoin d’être maniée avec douceur : les faits doivent atténuer ce que le droit a de rigoureux.

Telle est la première forme de ménagemens ; la seconde serait plus efficace encore, si elle entrait dans nos mœurs. Ce qui pousse nos marins à bord des navires étrangers, c’est l’attrait du salaire. Les Américains leur offrent 80 francs par mois quand l’état ne leur en donne que 24 ou 30 au plus, en y ajoutant le supplément de gabiers. Comment pourraient-ils hésiter ? comment pourraient-ils, en comparant ces deux chiffres, envisager le service de l’état autrement que comme une charge, y prendre goût, s’y attacher ? Si étrangers qu’ils soient au calcul, celui-ci est trop élémentaire pour qu’ils ne le fassent pas. L’Angleterre et les États-Unis l’ont compris ; leur marine militaire est désormais payée sur le même pied que celle du commerce ; c’était le seul moyen d’avoir des équipages de choix et fidèles au pavillon ; ces deux états se sont résignés de bonne grâce. Les derniers engagemens de l’amirauté ont eu lieu à raison de 43 à 44 livres sterling par an, ce qui fait, à une petite fraction près, 1,100 francs. Nos gabiers, nos fins matelots, comme on les nomme, en sont réduits à 360 francs. Il est vrai