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bonne, et cela lui rend de la joie au cœur. Une ville à emporter d’assaut! Il en oublie Roncevaux, Roland et le traître Ganelon. — La ville est à celui qui la prendra! s’écrie-t-il. Allons, duc Naymes de Bavière, comte Dreux de Mondidier, Richard de Normandie, Hugues de Cotentin, Eustache de Nancy, Gérard de Roussillon, sus à Narbonne! — Tous refusent. Le duc Naymes est vieux, Mondidier est malade, Hugues de Cotentin est las, Richard est content de sa fortune, les gens d’Eustache de Nancy refusent de marcher. Charlemagne restera donc seul. La colère de l’empereur éclate, et sa voix tonne plus retentissante que le cor de Roland à Roncevaux. Alors sort des rangs un pauvre écuyer, vêtu de serge.

Le Gantois, dont le front se relevait très vite,
Se mit à rire, et dit aux reîtres de sa suite :
« Hé ! c’est Aymerillot, le petit compagnon !
— Aymerillot, reprit le roi, dis-nous ton nom.
— Aymery. Je suis pauvre autant qu’un pauvre moine;
J’ai vingt ans, je n’ai point de paille et point d’avoine,
Je sais lire en latin, et je suis bachelier.
Voilà tout, sire. Il plut au sort de m’oublier
Lorsqu’il distribua les fiefs héréditaires.
Deux liards couvriraient fort bien toutes mes terres ;
Mais tout le grand ciel bleu n’emplirait pas mon cœur.
J’entrerai dans Narbonne, et je serai vainqueur.
Après je châtierai les railleurs, s’il en reste. »
Charles, plus rayonnant que l’archange céleste,
S’écria : « Tu seras, pour ce propos hautain,
Aymery de Narbonne et comte palatin,
Et l’on te parlera d’une façon civile.
Va, fils! » Le lendemain Aymery prit la ville.

Lecteur, lisez et relisez ce poème, il est fait pour grandir le cœur C’est une œuvre noble dans toute la force du terme, et qui vous fera oublier les platitudes de la littérature qui court. Dans ce même ordre d’inspirations nobles et fortifiantes, je recommande deux petites merveilles, Bivar et la Rose de l’Infante. Il y a une grandeur réelle dans ce poème de Bivar, où la simplicité du chevalier chrétien contraste si heureusement avec l’étonnement emphatique du visiteur arabe. La Rose de l’Infante émeut comme un pressentiment. C’est une des inspirations les plus poétiques de M. Hugo que cette rose effeuillée par un souffle affaibli de la furieuse tempête qui, au même moment, disperse et engloutit. Dieu et les manœuvres de Drake aidant, les vaisseaux de la superbe Armada.

Je n’ai rien dit et ne veux rien dire de certaines apocalypses auxquelles M. Hugo attache probablement un grand prix, mais que je me permets de trouver obscures, non plus que de certaines conceptions, telles que le Satyre, que je me permets de trouver mal venues, informes pour tout dire. J’aurais pu aussi insister sur les défauts du