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damnés à ne pas trouver dans son livre ce qu’ils y chercheraient avec empressement. Quant aux lecteurs amis, et nous sommes du nombre, ils seront heureux d’y trouver tout ce qu’ils n’y cherchaient pas, tout ce qu’ils ne s’attendaient pas à y rencontrer : et d’abord l’abondance, et, si nous pouvons parler ainsi, la prodigalité des richesses. Nous n’oserions pas dire que les poèmes nouveaux contiennent de plus belles choses que les recueils précédens de l’auteur, mais nous dirons hardiment qu’ils en contiennent d’aussi belles et en plus grande abondance. Prenez par exemple les Rayons et les Ombres, retranchez-en les deux pièces intitulées Oceano Nox et la Tristesse d’Olympio, et le volume se trouvera fort appauvri. Retranchez des Voix intérieures les deux pièces : la Cloche et A Olympio, et le recueil n’ajoutera rien, ou à peu près, à la gloire du poète. Au contraire, dans la Légende des Siècles, les pièces qu’on voudrait Ne pas rencontrer sont en très petit nombre, et les bizarreries choquantes, les audaces maladroites, les aspirations pénibles, sont mises dans l’ombre et comme effacées par la splendeur des poèmes qui les suivent et qui les précèdent. Des pages comme celles d’Aymerillot, du Mariage de Roland, du Petit roi de Galice, font aisément pardonner quelques conceptions nuageuses ou lourdes, quelques tentatives élevées et nobles sans doute, mais restées stériles. En second lieu, la variété de tons qui règne dans ces deux volumes est extrême, et va de l’essor de la poésie lyrique à l’accent majestueusement familier de la poésie épique. Quelques-uns de ces poèmes méritent réellement le nom de petites épopées que leur a donné M. Hugo. Dans ces poèmes, l’auteur n’apparaît jamais, et raconte comme un historien ou même un simple chroniqueur, avec un désintéressement et un oubli de lui-même qui semblent n’avoir rien coûté à sa personnalité puissante, si prompte à se montrer derrière les héros qu’elle met en scène. D’autres fois, comme dans le Régiment du baron Madrace, le sujet choisi par lui n’est qu’un prétexte pour donner cours aux sentimens dont son âme est pleine, à ses colères et à ses anathèmes. Puis le poète sort de la poésie lyrique et de l’épopée, côtoie le drame et lui emprunte son langage, ou bien invente un genre poétique nouveau, un genre inconnu des anciennes poétiques, difficile à classer, et que, faute d’un autre nom, j’appellerai la nouvelle rimée, le roman en vers : Eviradnus et Ratbert. Enfin, dans son nouveau recueil, M. Hugo a révélé un style nouveau. Vous connaissez son style dans la poésie lyrique, riche, coloré, pittoresque, abondant en images, et vous connaissez aussi son style dramatique, entrecoupé comme un sanglot, heurté, éloquent, plein d’interjections passionnées, espèces d’onomatopées ambitieuses d’imiter les cris physiques de la chair et les sentimens ora-