délabrées, s’égayaient de quelques rosiers grimpans et de guirlandes de chèvrefeuille sauvage.
De là on pénétrait de plain-pied dans la salle à manger, dans le salon, puis dans la chambre d’honneur, qui servait de salon plus intime à ma mère. Au-dessus, un étage de chambres assez nues était destiné à son logement, au mien, et à l’hospitalité envers quelques amis. Deux autres étages restaient dans l’abandon le plus complet, sauf les chambrettes affectées au domestique peu nombreux de la maison, un vieux valet de chambre cocher à l’occasion, une femme de charge servant de fille de chambre à ma mère, et une robuste cuisinière, excellente femme dévouée qui s’appelait Catherine et qui m’aimait particulièrement : c’est elle qui soignait les vaches et le poulailler.
Les appartemens n’avaient rien de remarquable au premier, au deuxième et troisième étage. En revanche, le rez-de-chaussée était fort intéressant. Il offrait, je ne dirai pas un état de conservation satisfaisant (tout était fané et usé), mais au moins le spectacle rare d’une authenticité complète. On a vu suffisamment, par ce qui précède, que nous étions pauvres. Douze mille francs de rente environ, avec l’obligation de conserver tant bien que mal un petit édifice encore beaucoup trop vaste pour notre état de maison, et l’obligation non moins sacrée pour des gentilshommes campagnards de recevoir honorablement quelques voisins, c’était plus que la gêne sans être la misère. C’était cet ensemble de privations morales et intellectuelles qui se dissimule sous une apparence de bien-être apathique. C’était cet état problématique qui fait dire au passant aisé : Voilà de pauvres seigneurs ! tandis que le paysan qui le guide vers ces demeures féodales, objet de son respect héréditaire, les lui montre avec orgueil et s’étonne de les voir dédaignées par les appréciateurs du moderne comfortable.
Nos aïeux, sans être fort riches, avaient eu plus d’aisance que nous, puisqu’ils avaient fait bâtir ce manoir, dont la moindre réparation nous était si onéreuse, et pour lequel le moindre embellissement nous eût été impossible ; mais ils avaient vu diminuer progressivement leurs ressources. Il n’était pas besoin, pour s’en assurer, de consulter notre histoire de famille : il suffisait de jeter les yeux sur le mobilier, qui n’avait pas été renouvelé depuis l’époque de Louis XIII, et qui, par lui-même, ne caractérisait point une existence de splendeur. C’était, dès ce temps-là, l’intérieur d’un gentilhomme médiocre. En cela précisément, cet intérieur était digne d’intérêt. Le luxe et le goût ont conservé ou exhumé beaucoup d’objets de goût et de luxe, mais ceux qui ne servent qu’à préciser le caractère des temps ont généralement disparu du sol de la France. Ainsi je