un autre milieu, avec d’autres circonstances et une autre mise en scène.
Ces soins furent inutiles. En vain la Faille-sur-Gouvre (petite ville cousine-germaine de celle de Molinchart) couvrit-elle le nom véritable de celle où notre auteur avait pris une tasse de café en ruminant le décor de son roman ; en vain attribua-t-il à son héros principal, appelé Narcisse, de légers ridicules et une grande passion afin de le déguiser complétement : la paroisse s’écria que c’était monsieur un tel, lequel avait dû aimer une religieuse et avoir pour rival un comédien, que l’affreux mystère était enfin dévoilé, et qu’il fallait en connaître l’héroïne. J’ai même ouï dire que l’on s’était ému derrière les grilles du couvent, et que le roman bâti par les lecteurs ne s’était arrêté en route que faute de personnages.
Il est vrai que l’auteur du roman imprimé avait commis une grande faute : il avait peint la figure extérieure de Narcisse ; il avait fait comme les peintres qui, rencontrant une belle tête, douce, honnête et sympathique, en font à la hâte un croquis, l’enferment dans leur portefeuille avec d’autres études, et un beau jour, ayant à placer dans une composition un type de droiture et de bonté, retrouvent avec plaisir l’esquisse d’après nature, et l’habillent en paysan ou en prince, selon les convenances de leur sujet.
L’auteur du roman en question ne s’en fit ni scrupule ni reproche ; mais certains autres personnages voulurent aussi reconnaître leurs visages, auxquels il n’avait point songé, et il reçut, comme d’habitude, des reproches ou des encouragemens pour sa prétendue indiscrétion.
Nous ne parlerions pas de ces incidens comiques, accessoires obligés de toute publication de ce genre offrant un caractère de réalité quelconque, si, à propos d’un autre roman publié, il y a un an bientôt, dans la Revue des Deux Mondes, un incident analogue n’eût pris, sous le stimulant de la haine ou de la spéculation (nous aimons mieux croire à la haine, bien que rien ne nous l’explique), des proportions, je ne dirai pas plus fâcheuses pour l’écrivain dont il s’agit, mais beaucoup plus indécentes par elles-mêmes et véritablement indignes de la Faille-sur-Gouvre, car à la Faille-sur-Gouvre on n’est qu’ingénu, tandis que, dans de plus grands centres de civilisation, on est hypocrite, et on couvre une affaire de rancune ou de boutique des fleurs et des cyprès du sentiment.
Sans nous occuper ici d’une tentative déshonorante pour ceux qui l’ont faite, pour ceux qui l’ont conseillée en secret et pour ceux qui l’ont approuvée publiquement, sans vouloir en appeler à la justice des hommes pour réprimer un délit bien conditionné d’outrage et de calomnie, répression qui nous serait trop facile, et qui