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enfin, à l’expiration de la troisième période du Zollverein, en 1866, il atteignait son but, l’Europe centrale formerait une association douanière comprenant une population de plus de 60 millions d’âmes.

Certes la politique française ne saurait envisager avec indifférence une telle agglomération d’intérêts et de puissance se constituant sur nos frontières. Il ne faut cependant pas s’effrayer outre mesure de cette éventualité. Une association commerciale supprime des bureaux de douane, mais elle ne supprime pas les rivalités entre les pays qui la composent, les élémens d’antagonisme qui existent entre les plus forts, les défiances jalouses des petits états : le Zollverein l’a bien prouvé. Si la Prusse, par l’étendue de son territoire, par le chiffre de sa population et par le prestige de son gouvernement, y a joué le principal rôle, les autres états n’ont point abdiqué leur indépendance politique, et le cabinet de Berlin a eu plus d’une fois à compter avec les susceptibilités excessives qui animaient contre lui les plus faibles de ses associés. Au début de la dernière guerre, on a vu certains états, et au premier rang la Bavière, se précipiter vers la politique autrichienne, tandis que la Prusse et les états du nord proclamaient une absolue neutralité. Le lien commercial n’est donc pas nécessairement un lien politique. L’Allemagne a d’ailleurs été délimitée et partagée non-seulement en vue de l’équilibre européen, mais encore de manière à se faire équilibre à elle-même. Les diplomates qui se sont appliqués à cette œuvre de laborieuses combinaisons peuvent se vanter d’avoir complètement réussi, car il serait difficile d’imaginer entre des territoires qui se touchent, et parmi des peuples de même race, une plus grande diversité d’intérêts et de sentimens. Supposons qu’une conférence douanière réunisse les représentans de toutes les fractions de l’Allemagne, et que l’accord s’y établisse sur un système de tarifs ou d’impôts, la diète de Francfort n’en demeurera pas moins le théâtre de ces discussions interminables qui ramènent invariablement la politique fédérale autour des mêmes débats d’influences disputées et de réciproques jalousies. On ne saurait nier pourtant qu’une fusion des intérêts matériels ne doive augmenter la richesse et par conséquent la force de la nationalité germanique; mais cet accroissement de force et de richesse n’aura rien de menaçant pour l’équilibre européen : il favorisera le commerce, aidera au progrès des idées libérales, et fournira une nouvelle garantie de paix. L’Allemagne, telle qu’elle est organisée, ne peut avoir une politique agressive; elle ne puiserait dans l’union douanière qu’un surcroît de ressources pour la défense, et cela importe peu à la France, qui n’a point à l’attaquer. Il est même permis de penser que si les négociations de 1853 avaient abouti à l’union douanière austro-allemande, l’Autriche n’aurait pas été maîtresse de poursuivre en Italie