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mais cette résurrection, due à une autre prépondérance étrangère, ne constituait pas un état normal. Satellite entraîné dans l’orbite que parcourait une éclatante fortune, l’Italie devait retomber dans l’immobilité dès que Napoléon aurait disparu. Roi de l’Italie supérieure, maître de la Toscane et de Naples, n’ayant plus à compter avec l’autorité temporelle du pape, qu’il avait brisée, Napoléon avait pu se croire en mesure de faire de l’Italie une nation. La puissance de ses armes, son génie organisateur, son origine italienne et ses sympathies pour les Italiens, tout le destinait à ce rôle, et l’on voit par son propre témoignage qu’une telle pensée avait traversé son esprit; mais dans le nouveau droit public qu’il avait créé avec son épée, c’était moins de confédération que d’unité qu’il s’agissait. « Les malheureux Italiens, disait-il à Sainte-Hélène, sont distribués par groupes, divisés, séparés par une cohue de princes qui ne servent qu’à exciter des haines, à briser les liens qui les unissent, et les empêchent de s’entendre, de concourir à la liberté commune. C’était cet esprit de tribu que je cherchais à détruire; c’est dans cette vue que j’avais réuni une partie de la péninsule à la France, érigé l’autre en royaume. Je voulais déraciner ces habitudes locales, ces vues partielles, étroites, modeler les habitans sur nos mœurs, les façonner à nos lois, puis les réunir, les constituer, les rendre à l’ancienne gloire italienne. Je me proposais de faire de ces états agglomérés une puissance compacte, indépendante, sur laquelle mon second fils eût régné. Rome en fût devenue la capitale, je l’eusse restaurée, embellie. J’eusse déplacé Murat. De la mer jusqu’aux Alpes, on n’eût connu qu’une seule domination. J’avais déjà commencé l’exécution de ce plan, que j’avais conçu dans l’intérêt de la patrie italienne;... mais la guerre, les circonstances où je me trouvais, les sacrifices que j’étais obligé de demander aux peuples, ne me permirent pas de faire ce que je voulais pour elle. Voilà les motifs qui m’ont arrêté. C’est une faute, une grande faute, je le sentis en 1814, mais l’heure des revers avait sonné, le mal était irréparable[1]. » Ainsi il comptait sur le temps et sur la fortune, la fortune et le temps lui manquèrent. Il est permis aussi de croire que l’établissement de l’unité italienne et l’indestructible souvenir de la primatie de Rome furent, à une autre époque de sa vie, subordonnés au rêve que son ambition caressait par momens : la restauration de l’empire d’Occident avec la France pour centre et Paris pour capitale. Quoi qu’il en soit, l’Italie semblait s’associer elle-même à ce rêve éblouissant, comme si elle dût se consoler de n’être plus la reine des nations par la gloire d’avoir donné un maître à l’Europe. Lorsqu’il fut question de faire venir le

  1. Derniers momens de Napoléon, par Antomarchi, publiés à la fin du Mémorial.