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jusqu’à la république romaine sans s’apercevoir qu’ils ne faisaient que changer d’utopie, ou du moins qu’en reculer le point de départ. On entrevoit bien çà et là, surtout dans les lettres de Pétrarque, à ses heures de déception, un sentiment assez vif du droit national et une aversion très marquée pour l’imitation étrangère, qui dénature et corrompt les mœurs, la langue et le vieil esprit militaire de l’Italie ; on y trouve même un plan d’union et de protection réciproque entre les différens états de la péninsule. Malheureusement ces ébauches d’organisation par l’association des intérêts, dont l’honneur revient surtout aux gibelins et dont la tradition ne se perdit jamais en Italie, ne s’appuyaient pas suffisamment sur le sentiment d’une patrie commune, indépendante de toute domination extérieure, forte surtout par cette unité morale qui vit dans la conscience de ces âmes multiples dont l’être social se compose. L’idée abstraite d’une nation, d’une personnalité italienne est relativement toute récente.

Quelle est donc la raison de cette situation anormale ? L’Italie possédait en ce moment tous les élémens qui peuvent faire la grandeur d’un peuple : des frontières naturelles parfaitement tracées, une religion dont le siège était chez elle, une langue la première et la plus achevée de toutes, la richesse commerciale et maritime avec les plus beaux ports, le développement des sciences, des lettres, des arts, représenté par des génies originaux, tels que saint Thomas d’Aquin, Nicolas de Pise, Dante et Pétrarque. Elle avait même une histoire reliée malgré sa confusion apparente par un même sentiment, le sentiment toujours noble de l’indépendance individuelle et de la liberté civile ; seulement il lui manquait ce par quoi les nations s’asseyent, s’affermissent, arrivent à l’ordre et à la liberté politique : une constitution qui fût praticable et sérieusement pratiquée. Ce n’est pas que l’Italie n’ait point senti le besoin de se constituer ; mais au moyen âge, en s’attachant à l’idée cosmopolite de la monarchie impériale ou de la théocratie sacerdotale, elle voulut trop embrasser et ne sut rien étreindre. Vers la fin du XVe siècle au contraire, les essais de constitutions deviennent étroits, mesquins, égoïstes. Ils n’atteignent plus même les limites de la péninsule, ils ne répondent pas aux véritables tendances du pays. Sans doute cette association fédérative qu’avait ébauchée la ligue lombarde, et dont la pensée inspirait à Pétrarque de patriotiques paroles pour arracher à Venise et à Gènes leurs armes fratricides, cette union défensive que Laurent de Médicis établit pour quelques années entre Florence, Milan et Naples apparaissait de temps en temps comme une idée nécessaire ; mais personne ne s’appliquait à la laisser mûrir et porter ses fruits. On l’accueillait un jour pour la rejeter le lendemain. Rien ne se fondait, parce que rien n’avait un but gêné-