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d’entre eux rôdent sur les bords de la Tamise du côté de Surrey. Une paire de mauvais souliers aux pieds, un sac sur le dos, un tablier de toile noué autour de la taille, une longue perche à la main, ils pénètrent, sans qu’on sache trop comment, dans ces lieux horribles et mis en interdit. Cette perche, armée d’un crochet de fer, sert à assurer leurs pas et à sonder le terrain. Ils ont en outre une lanterne sourde qu’ils attachent sur la poitrine, et qui projette devant eux la lumière à une certaine distance. Il est rare que le chasseur d’égouts travaille seul ; le plus souvent ces hommes vont par bandes de trois ou quatre pour se prêter assistance les uns aux autres. La plupart de ces bandes sont conduites par un ancien qui a l’expérience du métier. Chaque fois que ces fureteurs d’égouts passent sous les grilles de fer scellées dans le pavé de la rue, ils ferment leur lanterne et se glissent furtivement dans l’ombre, craignant que leur lumière n’attire l’attention des personnes qui marchent au-dessus de leur tête. Ils évitent pour la même cause d’emmener avec eux des chiens, qui leur seraient pourtant d’un grand secours dans ces régions dangereuses : les chiens aboient, et le bruit de ces aboiemens pourrait arriver par les soupiraux à l’oreille des passans, qui donneraient l’éveil au policeman.

On a déjà vu que le chasseur d’égouts avait un ennemi particulier dans le règne animal, le rat. Ce rongeur a Mme noire et farouche des lieux où il a été nourri. Le plus souvent il fuit ; mais, lorsqu’il se trouve acculé dans quelque recoin obscur, il se retourne volontiers contre l’homme assez hardi pour venir le troubler jusque dans ces retraites affreuses. On raconte que des sewer-hunters ont été assiégés par des myriades d’énormes rats, et qu’après avoir lutté de toutes leurs forces, ils succombèrent sous le nombre de leurs sauvages ennemis. Une autre légende se rattache aux égouts de Londres. Les chasseurs prétendent qu’il y a plusieurs années une truie pleine tomba par hasard dans une des ouvertures de la ville souterraine : elle mit bas au milieu des ténèbres et éleva ses petits, qui crurent et multiplièrent. La nourriture, comme on pense bien, ne leur manquait pas dans ces réservoirs de boue. La race de ces animaux, aussi nombreux que féroces, parcourt maintenant, s’il faut en croire certains récits, les égouts voisins de Hampstead. Je dois pourtant dire que les sewer-hunters qui parlent de ces terribles sangliers de la nuit ne les ont jamais rencontrés. Chemin faisant, le rôdeur d’égouts chasse aux clous, aux os, aux morceaux de fer ou de cuivre, aux bêtes mortes, aux rats, dont il vend la peau. C’est là une bien maigre capture en retour de tant de fatigues et de dangers ; mais le hasard se montre quelquefois plus débonnaire. Les sewer-hunters trouvent assez souvent dans la boue beaucoup de monnaie de cuivre, mêlée à des pièces de 6 pence, à